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vous serez un jour un grand homme de la République. Pour moi, depuis que je suis ici, je suis remué d’une fièvre républicaine qui me dévore et me consume. J’envoie par le même courrier, à votre frère, la deuxième. Procurez-vous-la dès qu’elle sera prête. Donnez-en à MM. de Lameth et Barnave ; j’y parle d’eux. Vous m’y trouverez grand quelquefois. Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris. Je me sens de quoi surnager dans le siècle. Compagnon de gloire et de liberté, prêchez-la dans vos sections ; que le péril vous enflamme. Allez voir Desmoulins, embrassez-le pour moi, et dites-lui qu’il ne me reverra jamais, que j’estime son patriotisme, mais que je le méprise, lui, parce j’ai pénétré son âme, et qu’il craint que je ne le trahisse. Dites-lui qu’il n’abandonne pas la bonne cause, et recommandez-le-lui, car il n’a point encore l’audace d’une vertu magnanime. Adieu ; je suis au-dessus du malheur. Je supporterai tout ; mais je dirai la vérité. Vous êtes tous des laches, qui ne m’avez point apprécié. Ma palme s’élèvera pourtant, et vous obscurcira peut-être. Infàmes que vous êtes, je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n’ai pas d’argent à vous donner. Arrachez-moi le cœur, et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands !

J’ai donné à Clé un mot par lequel je vous prie de ne lui point remettre d’exemplaire de ma lettre. Je vous le défends très expressément, et si vous le faisiez, je le regarderais comme le trait d’un ennemi. Je suis craint de l’administration, je suis envié, et tant que je n’aurai point un sort qui me mette à l’abri de mon pays, j’ai tout ici à ménager. Il suffit ; j’espère que Clé reviendra les mains vides, ou je ne vous le pardonnerai pas.

Ô Dieu ! faut-il que Brutus languisse oublié loin de Rome ! Mon parti est pris cependant : si Brutus ne tue point les autres, il se tuera lui-même.

Adieu, venez.

Saint-Just.

Noyon, le 20 juillet 1792.


À M. Daubigny, rue Montpensier, no 60, à Paris.