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l’armée, les uns ne reconnurent plus la sagesse et la présence d’esprit de ce grand homme, les autres vraiment ingrats crurent apercevoir un trait de génie qui blessait la constitution.

Il est certain que la dissolution de la force publique eût achevé de rompre la discipline ; car il ne faut pas confondre l’insubordination avec l’amour de la liberté ; les régiments demandaient leurs comptes aux états-majors ; je me représentai les Numides en Afrique, et non pas les mutineries républicaines des soldats de Rome.

Le corps militaire de France a, dans sa constitution douce, quelque chose de violent qui n’a ni principe ni objet. On ne rendra jamais citoyenne une troupe réglée indépendante des lois civiles. Qu’on se rappelle les Mamelouks en Égypte, les Janissaires en Turquie, les gardes prétoriennes à Rome, c’étaient de véritables étrangers dont le fer était la loi, le camp, la patrie. Il semble que l’armée de ligne soit devenue passive au milieu des gardes nationales ; c’est là précisément le motif de la jalousie, ou d’une rivalité secrète.

La France a déclaré qu’elle renonçait à l’esprit de conquête ; elle fera bien d’aimer la paix ou de licencier ses troupes aux approches d’une guerre offensive.

CHAPITRE VI.

DE L’ARMÉE NAVALE, DES COLONIES ET DU COMMERCE

L’armée navale n’a pas les inconvénients de l’armée de terre ; le commerce est son objet ; telle est la politique européenne, qu’un État ne peut plus prospérer aujourd’hui qu’à proportion que sa marine sera formidable. Les colonies sont devenues le nerf des métropoles, jusqu’à ce qu’elles les aient corrompues, qu’elles aient secoué leur injuste domination ; alors, l’esprit du commerce qui comprime aujourd’hui toute l’activité de l’Europe étant perdu, l’esprit de conquête prendra sa place ; l’Europe deviendra barbare, ses gouvernements tyranniques, et les autres continents refleuriront peut-être.