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qui s’envient leur prospérité et se déclarent la guerre quand ils deviennent riches et puissants ; car le commerce en Europe ne sert qu’à amasser de quoi faire la guerre, et la guerre qu’à s’appauvrir.

Un peuple qui méprise la guerre, à moins qu’on ne l’attaque dans son territoire, n’a plus besoin d’ambassadeurs, et sa fortune deviendra prodigieuse s’il est bien gouverné.

CHAPITRE IV.

DU PACTE DE FAMILLE, DES ALLIANCES

M. de Vergennes, qui croyait aimer la France parce qu’il était l’ami des Bourbons, ligua cette famille, non point contre la liberté, mais contre l’industrie de quel­ques peuples européens. L’Europe est habitée par les rois et non par les hommes ; les peuples y sont, comme le fer, un objet de mécanisme. Le dessein de la confédération des Bourbons n’était point l’amitié ni la piété du sang, mais une jalousie secrète ; ainsi la politique de l’Europe était la misère, l’orgueil et l’or. Les peuples se trouvaient assez heureux de la fortune de leurs maîtres et gémissaient glorieusement sous le joug de leur cruelle ambition.

Ainsi l’or et le sang des peuples allaient couler jusqu’à ce que les projets d’une famille fussent brisés ou assouvis ; c’était au milieu de ces indignités spécieuses, qui passaient sous le nom de la gloire des sujets, que les nations, qui n’avaient plus de droit des gens, perdaient encore leur droit politique par l’inhumaine nécessité des édits ; l’Europe devenait un peuple de fous par l’extravagance des lois et des rapports, et son urbanité était plus méprisable mille fois que son antique barbarie. Le génie des nations était l’avarice atroce ; la guerre était un jeu ; on ne se battait ni pour la liberté, ni pour la conquête, mais pour se tuer et se voler. Le droit des gens n’existait plus qu’entre les rois, qui se servaient des hommes comme des chevaux de course ; aussi se jouaient-ils des biens et de la vie des sujets, avec d’autant plus d’assurance qu’ils savaient les enivrer de la coupe sacrée de l’intérêt.