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CHAPITRE XI.

DES SUPPLICES ET DE L’INFAMIE

Quand la vertu est tellement l’âme d’une constitution qu’elle forme le caractère national, que tout est patrie et religion, on ne connaît pas le mal et on ne soupçonne même pas plus le bien, qu’une vierge ingénue son innocence ; à mesure que les lois se rouillent, on récompense le bien, on punit le mal ; le prix et la peine augmentent avec la corruption et bientôt arrivent la roue et les triomphes ; la vertu a le goût malade, le vice est insensible.

La procédure criminelle des Anglais est sage, humaine, savante ; leurs lois pénales sont cruelles, injustes, féroces. Se peut-il que le premier pas qui avait conduit ce peuple à la vérité ne l’ait point conduit à la modération ? On y sauve à la vérité l’innocent, mais on y assassine le coupable.

On admire depuis longtemps cette philosophie de l’esprit public anglais, qui n’attache aucune honte aux supplices. Je ne sache point qu’au Japon, à Carthage et chez les sires féodaux, l’opinion ait été salie de rien de si atroce ; ce n’est donc que du sang qu’il vous faut ! et pourquoi des tourments s’ils ne sont point exemplaires ? C’est le crime égorgé ; il est expié, direz-vous, mais c’est en vain. Quand un État est assez mal­heureux pour avoir besoin de violence, il a besoin d’infamie ; il semble qu’elle en soit l’honneur. Si vous ôtez l’infamie, les tourments ne sont plus que des cruautés juridiques, et stériles pour l’opinion. Le supplice est un crime politique, et le jugement qui entraîne peine de mort un parricide des lois : qu’est-ce, je le demande, qu’un gouvernement qui se joue de la corde, et qui a perdu la pudeur de l’échafaud ? Et l’on admire de semblables férocités ! Combien est barbare la politesse européenne ! La roue n’est point une chose honteuse, respectez-vous donc le crime ? Le coupable meurt, et meurt inutilement dans la rage et les sueurs d’une poignante agonie ; quelle indignité ! Ainsi l’on méprise la vertu comme le vice, on dit aux hommes : Soyez traîtres, parjures, scélérats si vous