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fortifier, et comme tout le monde brave le pacte, la force elle-­même est corrompue ; il ne reste plus de juge intègre ; le peuple qui se gouverne par la violence l’a sans doute bien mérité. Je ne vois plus en France que des gens d’armes, que des tribunaux, que des sentinelles ; où sont donc les hommes libres ?

CHAPITRE X.

DE LA NATURE DES CRIMES

Chez les despotes, la police est le frein de l’esclavage, la peine est terrible ; dans les gouvernements humains elle est le frein de la liberté, la peine est douce et sensible.

Tous les crimes sont venus de la tyrannie, qui fut le premier de tous. Les sauvages, chez qui s’est réfugiée la nature, ont peu de châtiments parce qu’ils ont peu d’intérêt.

L’Outaouais qui rompt son arme à la chasse entre dans une cabane, et en demande une autre, qu’on lui donne d’abord ; celui qui a tué deux castors en offre un à celui qui n’en a pas. Les sauvages sont familiers avec la pudeur, par la simplicité de leur naturel ; ils n’ont qu’une vertu politique, c’est la guerre. Leurs plaisirs ne sont point des passions, ils goûtent les simplicités de la nature ; la danse est l’expression de leur joie innocente et la peinture de leurs affections ; si quelquefois ils sont cruels, c’est un pas vers la civilisation.

Qu’on me pardonne ces réflexions sur les sauvages ; heureux pays, vous êtes loin de mes yeux et près de mon cœur ! La police fut simple chez les peuples divers, selon qu’ils furent tout à fait libres ou tout à fait esclaves, selon qu’ils eurent beaucoup de mœurs ou qu’ils n’en eurent point du tout ; mais la différence est que dans le despotisme c’est le jugement qui est simple, parce qu’on y méprise les lois et qu’on veut punir, et que dans la liberté, la peine y est simple parce qu’on y révère les lois et qu’on veut sauver.

Dans l’un, tout est délit, sacrilège, rébellion : l’innocence se perd embar­rassée ; dans l’autre tout est salut, pitié, pardon.