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devant les tribunaux, c’est le peuple alors qui se plaint ; la loi le juge selon sa propre convention.

On a dit que ces matières étaient une affaire d’administration, parce que l’administration était arbitre de la propriété ; mais il faut distinguer l’attribution fiscale d’avec l’attribution politique : c’est comme si l’on disait que le compas sera juge moral de l’esprit du géomètre.

On a dit que les parlements, en usurpant le pouvoir politique, avaient mis entre le peuple et le trône une barrière dont eux seuls avaient la clef ; nous en étions bien heureux, sans cela le trône nous eût écrasé. Qu’on se représente la juridiction des parlements entre les mains du fisc, et je laisse à penser quelle eût été notre misère. Le pouvoir judiciaire est le nerf de la liberté, c’est de tous les ressorts politiques celui qui se cor­rompt et s’use le moins, parce qu’il marche à découvert et marche toujours.

On a dit que si les tribunaux judiciaires jugeaient les assemblées du peuple, leur pouvoir serait exorbitant ; on s’est trompé ; mais leur juridiction serait seulement plus étendue. Quelquefois ce ne sont que les termes qui nous épouvantent ; or, ce n’est point l’extension d’un pouvoir qui le rend tyrannique, ce sont les principes suivant lesquels il agit.

De tous les pouvoirs de la cité, celui-ci est le moins dangereux, non point qu’il soit faible, mais parce qu’il est le plus réglé et le plus passif.

Quel autre sera plutôt le garant de ma souveraineté, que celui que j’ai fait garant de ma fortune et de ma vie ! Encore une fois il ne faut donner aux officiers publics que ce dont le peuple est incapable : toute espèce de pouvoir qu’on ôte au peuple ressemble aux saignées dont on nous affaiblit. Je pose ce principe général et absolu : partout où le peuple est blessé il doit parler et s’expliquer lui-même ; si l’on parle pour lui, ou l’on ne parlera point, ou l’on parlera mal.

Si le peuple parle lui-même, laissez-lui ses tribunaux : si vous prétendez toujours être ses mandataires et le représenter partout, c’est un malheureux fantôme que vous