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liberté, et inclinait vers la monarchie. Les peuples qui vivaient libres simplifieront beaucoup plus la morale que les peuples superbes qui s’enorgueillissent sous le joug d’un seul ; chez les premiers, le sacerdoce n’aura point de faste, mais il sera rigide observateur de ses devoirs, les dogmes seront simples, et les rites modestes ; chez les seconds, le prêtre prendra part au gouvernement, et fera ployer tous les principes de la modestie à ceux de la politique ; les dogmes seront déliés, tyranniques, les rites mystérieux.

L’Espagne sera le dernier peuple de l’Europe qui conquerra sa liberté, parce qu’il a mis aussi le plus d’orgueil dans sa religion ; par la même raison l’Angleterre devait secouer la tyrannie plus tôt ou plus aisément que les autres contrées, parce que le climat était peu propre à la superstition et à la jactance des prêtres.

On a dit que le christianisme n’était point propre à l’État social ; ceux qui l’ont dit confondaient l’Évangile avec la glose des prêtres. Le mépris pour les choses du monde, le pardon des injures, l’indifférence pour l’esclavage ou la liberté, la soumission au joug des hommes, sous prétexte que c’est le bras de Dieu qui l’appesantit, tout cela n’est pas l’Évangile, mais son travestissement théocratique. L’Évangile n’a voulu former que l’homme et ne s’est pas mêlé du citoyen, et ses vertus, que l’esclavage a rendues politiques, ne sont que des vertus privées.

Qu’il faille obéir aux puissances, ce n’est pas qu’on veuille dire qu’il faille obéir aux tyrans, mais aux lois décrétées par le souverain ; qu’il faille pardonner le mal, ce n’est point à dire qu’il faille être indifférent pour la patrie, et pardonner aux ennemis qui la dévastent ; il faut pardonner à nos frères tout ce qui nous blesse personnellement, mais non tout ce qui blesse les lois du contrat : étendre jusque-là les principes de la charité, c’est faire de l’homme une bête pour l’asservir au nom de Dieu.

L’Évangile est la vie civile entre les mains des tyrans, il n’est que la vie domestique dans l’État de liberté, et c’est la vie domestique qui est le principe de la vertu. Aussi