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un principe ; on est devenu dévot après qu’on a méconnu la piété ; fanatique après la dévotion, vain après qu’on eut perdu l’honneur. Le faux honneur dégénéré de la vertu chevaleresque est ici le préjugé ; le duel est une manière aveugle : tantôt il veut une goutte de sang, tantôt la vie ; au sentiment qui l’a allumé succèdent le regret et la pitié ; la saillie passe, le préjugé demeure.

Toutes les lois possibles portées contre le duel seraient violentes, et ne feraient que des assassins. Qu’on établisse contre le duel des lois relatives qui donnent aux hommes un esprit nouveau, le préjugé n’est plus, et le duel meurt.

Le duel est enfant du despotisme et de la liberté ; quand ils sont réunis, l’un gâte les lois, l’autre les hommes, et la violence doit décider entre eux. Depuis plusieurs siècles les rois de France ont porté de ter­ribles édits contre ce crime ; ils ne firent que l’irriter au lieu de l’éteindre ; c’étaient des lois injustes, elles arrêtaient la vengeance et point l’injustice ; mais on était bien loin de vouloir arrêter la tyrannie ; on força seule­ment les spadassins à se cacher, et le faux honneur subsistant toujours, la vertu même fut contrainte à s’oublier entre le meurtrier et le bourreau, la honte et l’infamie. Tout bien dérive de la bonté des lois, tout mal de leur corruption.

L’impuissance des édits était telle, qu’on vit les par­ties condamnées demander raison à leurs propres juges, et se battre avec eux ; le juge qui eût refusé le combat eût passé pour infâme. Cela devait être, la loi était mauvaise ; elle condamnait l’épée et ne déshonorait point le bras.

L’inviolabilité des représentants de la Nation fut une chimère contre le duel ; tous les règlements qu’on eût imaginés contre cet abus auraient semblé le prétexte d’une lâcheté dans l’occasion. Le duel de MM. Cas­tries et Lameth souleva Paris à la vérité, mais qu’on ne s’y trompe point, le peuple craignait la perte de ses défenseurs.

Si la constitution est vigoureuse, le duel se consumera de lui-même. Les vices viennent de la faiblesse ; ils périssent avec elle et ne se corrigent point.