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CHAPITRE V.

DE LA NOBLESSE

Les distinctions des ordres formaient les mœurs politiques. Du destin des uns est résulté celui des autres. Le fameux décret sur la noblesse héréditaire a purgé l’esprit public et renversé tout à fait le faux honneur de la monarchie. Il ne surnage plus que quelques noms heureux : d’Assas, Chambord, Lameth, Luck­ner ; et les noms fameux des héros morts ne sont plus souillés par les bassesses et les indignités des vivants. On peut dire que presque toute la noblesse livrée à la mollesse et aux délices n’avait ni aïeux, ni postérité ; elle avait ridiculisé ses maximes, il n’en existait plus qu’une ombre qui s’évanouit à la lumière.

Si l’esclavage a été un crime dans tous les temps et dans toutes les mœurs, on pourrait dire que la tyrannie eut des vertus chez nos aïeux : on vit des despotes humains et magnanimes ; de nos jours, on remarquait des sybarites atroces, et qui n’avaient plus que les humeurs du sang de leurs aïeux.

L’antique gloire était fanée. Quels secours devait attendre la patrie de cet orgueil épuisé, qui ne regretta que l’opulence et les douceurs de la domination ? Que doit-on admirer le plus d’un peuple qui fit tout pour sa liberté, ou d’une aristocratie qui n’osa rien pour son orgueil ? Le crime était mûr, il est tombé ; disons tout, la noblesse fut rendue à elle-même, et l’Église à son Dieu.

La loi n’a point proscrit la vertu sublime ; elle a voulu qu’on l’acquît soi-même, et que la gloire de nos aïeux ne nous rendît pas insouciants sur nos vertus personnelles.

C’est une absurde maxime que celle de l’honneur héréditaire. Si la gloire que nous avons méritée n’est à nous qu’après notre mort, pourquoi ceux qui l’ont acquise en jouiraient-ils audacieusement pendant leur vie oisive ?