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et tyrannisait avec douceur ; en le voyant chatouiller le peuple, manier tout avec mollesse, cacher son génie, et tromper l’opinion au point de passer pour un homme faible et peu à craindre, on ne reconnaissait plus la hauteur qu’il avait montrée à Versailles.

Le second fut plus altier ; ce caractère convenait mieux à son emploi ; il fut pourtant gracieux, faux avec empressement, courtisan naïf, vain avec simplicité, et put tout en ne voulant rien.

La coalition de ces deux personnages fut remarquable quelques instants : l’un avait le gouvernement, l’autre la force publique. Tous deux fomentaient les lois qui servaient leur ambition, ils donnaient tous les mouvements dans Paris, jouaient en public le rôle dont ils convenaient en particulier, et traitaient la cour avec un respect plein de violence. Joignez à ceci un concert parfait, la popularité, la bonne conduite, le désintéressement, un amour apparent pour le prince et les lois, la douce élocution, tout cela soutenu de la générosité mettait à leurs pieds le sceptre qu’on eût brisé dans leurs mains. Ils devinrent les idoles du peuple à qui les trésors de l’État étaient prodigués sous d’honnêtes prétextes. Ils occupaient les bras des malheureux et saisissaient avec dextérité les passions publiques ; la réputation de ces deux hommes ressemblait à une fièvre populaire ; ils étaient adorés et tenaient captive la liberté dont ils se montraient partout les défenseurs et les amis. Après la prise de la Bastille, ils sollicitèrent adroitement des récompenses pour ses vainqueurs, et mirent partout en opposition leur zèle présomptueux avec la tiédeur prudente des communes. Toujours ils précipitaient le peuple, toujours l’Assemblée le modéraient sagement ; c’est que les premiers voulaient régner par le peuple et que les seconds voulaient que le peuple régnât par eux.

L’Assemblée, qui pénétrait les hommes, s’apercevant qu’on lui voulait faire trop sentir le prix de l’insurrection de la capitale, temporisa tant qu’elle vit les esprits inquiets, mit bientôt les factions sous le joug, et se servit de leurs propres forces pour les abattre.