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L’Assemblée nationale, sous couleur d’honorer ses lumières, l’abaissa par ce moyen, et profita elle-même de sa confiance et de sa vanité. Le peuple le perdit de vue ; Paris avait repris courage ; deux hommes prodigieux remplissaient tous les esprits ; l’Assemblée nationale marchait à grands pas ; le Genevois, circonscrit dans le ministère, en fut craint, et devint enfin indifférent à tout le monde ; il avait manqué son coup ; il ne fut plus qu’un être de raison, s’enveloppa de sa gloire et se rendit l’ennemi de la liberté parce qu’elle ne lui fut bonne à rien ; il avait flatté le peuple sous le despotisme ; quand le peuple fut libre, il flatta la cour ; sa politique avait été prudente, elle lui laissa l’oreille du monarque qu’il avait su ménager.

Cet homme à tête d’or, à pieds d’argile, eut un admirable talent pour dissimuler. Il posséda au suprême degré l’art de la flatterie, parce qu’il insinuait avec grâce et tendresse la vérité, utile à ses projets, parce qu’il feignait pour son maître l’attachement d’un grand cœur.

Il porta l’ambition jusqu’au désintéressement comme le laboureur s’épuise pour le champ qu’il veut un jour moissonner ; l’insurrection l’a renversé, parce qu’elle éleva tous les cœurs au-dessus de lui, et au-dessus d’eux-mêmes. Je crois que s’il ne fut point revenu, il eût asservi la Suisse sa patrie.

CHAPITRE V

DE DEUX HOMMES CÉLÈBRES

Quiconque après une sédition aborde le peuple avec franchise, et lui promet l’impunité, l’épouvante et le rassure, plaint ses malheurs et le flatte, celui-là est roi.

Le chef-d’œuvre de cette vérité, c’est que deux hommes aient pu régner ensemble. La frayeur de tous les éleva, leur faiblesse commune les unit.

Le premier, qui avait été vertueux au commencement, s’étourdit ensuite de sa fortune, et forma de hardis desseins. Chacun s’emparait d’un débris : tout-puissant à l’Hôtel de Ville, il jouissait à l’Assemblée nationale d’un crédit tranquille