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La duchesse Jules de Polignac, seule rusée, trompa la cour, le ministère, le peuple, la reine, et s’enrichit ; elle cachait le crime sous la frivolité, fit des horreurs en riant, déprava les cœurs qu’elle voulait séduire, et noya son secret dans l’infamie.

Je passe sous silence le caractère de tant d’hommes qui n’en avaient point. L’imprudence et les folies du ministre de Calonne ; les sinuosités, l’avarice de M. de Brienne. L’esprit de la cour était un problème : on n’y parlait que de mœurs, de débauches et de probité, de modes, de vertus, de chevaux ; je laisse à d’autres l’histoire des courtisanes et des prélats, bouffons de cour ; la calomnie tuait l’honneur, le poison tuait la vie des gens de bien ; Maurepas et Vergennes moururent ; ce dernier surtout chérit le bien qu’il ne sut pas faire ; c’était un satrape vertueux ; la cour après sa mort n’offrit plus qu’un torrent d’impudicités, de scélératesses, de prodigalités qui acheva la ruine des maximes. La bassesse des courtisans se peut à peine concevoir ; la politesse couvrait les plus lâches forfaits : la confiance et l’amitié naissaient de la honte de se connaître, de l’embarras de se tromper ; la vertu était un ridicule :l’or se vendait à l’opprobre ; l’honneur se pesait ensuite au poids de l’or ; le bouleversement des fortunes était incroyable. La cour et la capitale changeaient tous les jours de visages par la nécessité de fuir les créanciers, ou de cacher sa vie ; l’habit doré changeait de mains ; parmi ceux qui l’avaient porté, l’un était aux galères, l’autre en pays étranger, et l’autre était allé vendre ou pleurer le champ de ses pères. C’est ainsi que la famille des Guémené engloutit la cour, acheta, vendit les faveurs, disposa des emplois, et tomba ensuite par l’orgueil comme elle s’était élevée par la bassesse ; l’avidité du luxe tour­mentait le commerce et mettait aux pieds des riches la foule des artisans. C’est ce qui maintint le despotisme, mais le riche ne payait point, et l’État perdait en force ce qu’il gagnait en violence.

La postérité se pourra figurer à peine combien le peuple était avide, avare, frivole ; combien les besoins que sa présomption lui avait forgés le mettaient dans la dépendance des