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social qu’il voulait construire ? Sa conception d’un âge nouveau était faite tout entière de paix, d’amitié et de vertu. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire ces fragments d’Institutions, qui nous restent comme les lambeaux déchirés de son cœur. L’action révolutionnaire, à ses yeux, n’était qu’un moyen et qu’un passage, et rien ne serait plus contraire à la vérité que d’y rechercher les principes de son idéal politique. Il était impatient de voir la période nécessaire et terrible des luttes intérieures et extérieures faire place à la période féconde des institutions fraternelles et durables. Mais, du moins, dans ce duel formidable où tout le passé dressait contre lui sa masse inerte, il déploya le plus prodigieux exemple de volonté et d’héroïsme que l’histoire moderne ait connu. Cette volonté froide, indomptable, sûre d’elle-même, l’animait et le dévorait comme un feu silencieux. Du jour où il comprit la Révolution, il la voulut, et du jour où il la voulut, aucun obstacle ne pouvait plus l’arrêter. À Blérancourt, le 15 mai 1790, la main plongée dans la flamme qui consumait des libelles contre-révolutionnaires, il jura de mourir pour la patrie. Ce serment ouvre et explique toute sa vie politique, qui ne fut, pendant quatre années, qu’un acte ininterrompu de volonté.

Il fut un héros, dans ce que ce terme a de plus simple et de plus pur, c’est-à-dire un homme au-dessus des hommes, un homme qui touche aux dieux. À Strasbourg, il se trouve en présence d’une armée dispersée, sans cohésion, sans discipline, sans