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Projets déçus, fidélité, bonheur,
Honneur enduit de la crasse des âges,
Protections, dettes de grand Seigneur ;
La chimérique et brillante cohue
Formait en l’air une profonde nue.
À cet objet redoutable de loin,
Adieu l’assaut ; par la plaine on s’échappe :
Chacun croit voir un Diable qui le happe.
Vitikin crie, on ne l’écoute point.
Nemours lui seul, sur la brèche déserte,
Crie à voix haute : Amis, courons, alerte !
Bravons l’Enfer, poursuivons les Alains,
Et le dernier périra de nos mains.
Ainsi jadis, quand le Maître du Monde,
Abasourdi par le peuple de l’onde,
Lui fit pleuvoir un grand soliveau Roi ;
Les esprits forts de l’engeance mouillée,
Au fond des eaux poursuivis par l’effroi,
Parmi l’écume et la fange troublée,
Gagnaient les joncs, se pressaient dans leurs trous,
Et croyaient voir Jupiter en courroux.
Il me souvient que dans l’hôtellerie
J’avais laissé l’Ange, Organt, et sa mie.
L’Ange parlait. Nous reprendrons le fil
De son discours : « Enfin, lui disait-il,
« Dieu dans vos mains a remis la victoire ;
« Venez combattre, et délivrer Paris :
« Ce n’est qu’après la bataille, ô mon fils !
« Qu’il faut chanter. faire l’amour, et boire ».
L’Ange tourna vingt fois le même sens,
Enveloppé de termes différens,
Et ce discours signifiait en somme.
Qu’il fallait prendre et le glaive et le heaume ;
Laisser l’amour et le vin, et partir,
Pour triompher, se venger, ou mourir.
Notre Gardien à son char vous attelle
Du bon Saint-Jean la maigre haridelle
Qu’avait Champagne amenée ici-bas.