Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« De spectres d’air. L’un s’appelait l’Honneur :
« Dans le cristal de sa frêle substance,
« On distinguait les taches de son cœur,
« La fausseté, l’orgueil, et l’impudence,
« L’intérêt nud, et le dépit rongeur.
« Plus loin venait, sur une boule huilée,
« De bulles d’air la Fortune habillée ;
« L’œil, ébloui par son éclat changeant,
« Porte au cerveau le désir et l’envie.
« Là, l’Avarice au ventre de harpie,
« Mourant de faim pour nourrir son argent.
« Je vois plus loin la Politique douce,
« Qui va baisant le bras qui la repousse ;
« L’Espoir gonflé, son haleine suivant,
« Et que berçait l’Intérêt complaisant ;
« Plus loin venaient les Promesses fidèles :
« On les voit tendre, avec compassion,
« Une main vide à la Soumission,
« Et vers le dos elles ont les mamelles.
« L’Occasion vint ensuite à passer ;
« On la fait naître, on ne peut la fixer.
« Le tourbillon qui roulait sur sa trace,
« Me laissa voir et l’Intrigue et l’Audace.
« La Gloire vient sur un char azuré,
« Et de soupirs enfle un habit doré.
« L’Orgueil parut ; il suivait la Naissance,
« Et celle-ci, marchant à reculon,
« Vint aboutir à l’antre d’un larron.
« La Flatterie agaçait l’Innocence.
« Venaient après les Jugemens humains,
« Qui chancelaient sur leurs pieds incertains.
« Ils immolaient mainte triste victime,
« Et sous le dais tranquillisaient le crime.
« Enveloppés d’un tourbillon de vent,
« Ces spectres vains coulaient dans le néant.
« Je vis de loin, sur son cheval céleste,
« Vers le moulin Saint-Jean qui volait preste.
« En arrivant, il m’accueillit fort bien ;