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Tous les Alains, réunis aux Saxons,
Passent le Rhin, en trois corps se partagent ;
Impétueux, brùlent, pillent, saccagent,
De leurs torrens inondent nos sillons,
Et vers Paris traînent leurs bataillons.
La France était sans Soldats et sans Princes ;
Ses défenseurs étaient d’autres tyrans,
Dont l’avarice infestait les provinces.
Paris était un antre de brigands,
Où la folie, avec la politesse,
De crimes noirs égayait la rudesse :
Où l’intérêt, lâchement déguisé,
Levait un front de tendresse gazé :
Des murs épais, bâtis par la Mollesse,
Couvraient la ville, et cachaient sa faiblesse.
Sa garnison était quelques Soldats
Chargés d’un fer trop pesant pour leurs bras,
Et dont le Chef, digne soutien d’un trône,
Où la grandeur semblait un beau pourpoint
Qui parerait un âne vu de loin,
Était ce mons Étienne de Péronne
Que la Folie avait pris pour Housard.
Mais ce Héros veut un article à part.
Vers ce temps-là, la cité de Péronne
Eut un seigneur débonnaire et courtois,
À qui le bien de ses bénignes lois,
De l’univers eût mérité le trône,
Si les tyrans ne faisaient les grands Rois.
Des courts instans que le Ciel nous octroie
Bien il sentit tout le prix et valeur.
Il en usa comme d’une faveur
Qu’un jour enlève, ainsi qu’il nous l’envoie.
On lui donna le nom de Julien ;
À ce grand Prince on eût donné le sien.
Il s’écriait, cet autre bon Saturne :
Je veux de pleurs qu’on arrose mon urne !
Et se gardait, pour un instant trop court,
De les presser sous un sceptre si lourd.