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« Crache le sang qu’elle vient de sucer.
« Cruel vautour, dont la faim irritée,
« Du peuple entier fait un vrai Prométhée !
« Le malheureux pousse sous ses débris
« De vains soupirs étouffés par ses ris,
« Et les sueurs et les pleurs des Provinces
« Moussent dans l’or à la table des Princes.
« La Loi recule, et le Crime insultant
« Broye en triomphe un pavé gémissant.
« D’un bras débile et flétri de misère,
« Le Laboureur déchire en vain la terre ;
« Le soir il rentre, et l’affreux désespoir
« Est descendu dans son triste manoir :
« Il voit venir sa femme désolée.
« Notre cabane est, dit-elle, pillée.
« Et qui l’a fait ? dit l’époux plein d’effroi :
« Et qui l’a fait ? qui l’a voulu ? — Le Roi !
« Le Roi, mon fils ; sa funeste indolence
« Ignore, hélas ! les malheurs de la France.
« De noirs tyrans écrasent ses sujets
« Et sa faiblesse épouse leurs forfaits.
« La Cour n’est plus qu’un dédale de crimes.
« Des traces d’or y tiennent lieu de fil ;
« L’honneur s’y vend au coup le plus subtil,
« Et tour à tour triomphans et victimes.
« Dupes des rêts par eux-mêmes tendus,
« Flattés hier, aujourd’hui confondus,
« Tous ces tyrans, assis sur une boule.
« Sont un torrent qui bouillonne et s’écoule.
« Telle est la France, et voilà les malheurs
« Qu’ont entrainés Turpin et vos lenteurs.
« De Satanas la fureur alarmée,
« Contre les Francs traînent le peuple Alain.
« Vous allez voir nos rives débordées.
« À dans la lune emporté notre armée ;
« Érâtre Hirem et le fier Vitikin
« En peu de temps d’ennemis inondées ;
« Nos châteaux pris, le pays ravagé,