Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son œil est creux, enluminé, hagard ;
Par les souris sa robe est dentelée ;
Par les procès sa cervelle est fêlée ;
Et par le temps sa chaussure éculée.
Code mouvant, ambulant Châtelet,
À chaque pas, elle évoque Target.
Vient à la suite un Abbé vif, alerte,
Au flanc poudreux, à l’air expéditif,
Et poursuivant, la bouche grande ouverte,
Canonicat devant lui fugitif.
Un petit homme, en très-grand équipage,
Accourt après avec force tapage :
On croirait voir, au vive des Badauts,
Au bruit des chars, des essieux, des chevaux,
Dame Folie avec tous ses grelots.
Pauvres humains, que vous sert de poursuivre,
Pour un moment que vous avez à vivre,
Cette vapeur de gloire et d’intérêts
Qu’on croit tenir, et qu’on ne tient jamais ?
Pareil aux feux qui, dans la nuit obscure,
Mènent les gens noyer au fond d’un puits.
En captivant leurs regards éblouis,
L’orgueil humain, de son haleine impure,
De la raison détournant le flambeau,
Par les erreurs d’une aimable imposture,
Promène l’homme, et l’amène au tombeau.
Antoine Organt, de la même manière,
En galopant, poursuivit sa chimère
Jusques au jour, où, loin du vieux château,
Il ne vit plus ni la Dame ravie,
Ni le Sorcier. Le tendre Jouvenceau
Plaint son malheur, et l’âme bien marrie,
Charge le Ciel et le foudre vengeur,
D’anéantir le perfide Enchanteur.
Dans sa douleur et sa mélancolie,
Il se rappelle et Nicette et Turpin,
Les longs malheurs de sa triste patrie,
Et son grand cœur accuse le Destin.