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Nos deux Héros, l’un à l’autre connus,
Se fêtoyaient de la même franchise,
Et contemplaient d’une égale surprise
Leurs fronts ridés par les mêmes vertus.
Depuis trente ans, Érâtre dans le monde
Traînait par-tout sa gloire vagabonde.
Ce nom fameux a rempli l’Univers,
Et de succès et de fameux revers.
Brigand parfois, parfois Roi magnanime,
Tyran lui-même, et fléau des tyrans,
Il écrasa les Rois en les vengeant,
Et sa vertu fut quelquefois un crime.
Le Roi de Saxe, adroit, mais généreux,
De ce barbare assouplit la rudesse,
En caressant sa superbe faiblesse.
« Ah ! lui dit-il en élevant les yeux,
« Je le vois bien, il est là-haut des Dieux
« Pour terrasser l’injustice et le crime,
« Et protéger le juste qu’on opprime.
« Je viens chercher un rival aux Français,
« Et ta vertu m’a dit que tu l’étais.
« Quitte ces champs ravagés par la guerre ;
« Cherche avec moi de plus heureux climats ;
« Viens dans la France enrichir tes soldats.
« Là des moissons embellissent la terre ;
« Là des châteaux, des palais, des cités,
« Séjour brillant des molles voluptés,
« Ne t’offriront qu’une conquête aisée.
« Dans ces pays, ta valeur abusée
« N’a rencontré que des vallons déserts,
« Que des débris, témoins de nos revers.
« J’ai tout perdu ; mais Charle et sa puissance
« N’ont pu m’ôter le cœur et l’innocence.
« Les justes Dieux, pour qui j’ai combattu,
« Tendent enfin la main à la vertu.
« Mon ennemi, dont l’avide furie
« A bu le sang et l’or de l’Italie,
« Et dont le bras, sacrilège, imposteur,