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Flacons humains que vante la Champagne.
Ces Saints maigris par de fausses vertus.
Dont l’effigie horrible et lamentable
N’avait jamais souri près d’une table,
Gros désormais, robustes, et charnus.
De grenadière et céleste encolure,
Plus de rubis montrent sur leur figure
Qu’ils n’ont jamais nazillé d’orémus.
Les Preux de France en ces lieux abordèrent
Près d’un gothique et superbe châtel,
Appartenant à ce Saint peu charnel,
Dont les Démons la vertu travaillèrent,
Et qui, durant son voyage mortel,
N’eut pour amis qu’un cochon et le Ciel.
Au même instant que le sol ils touchèrent,
Nos Paladins leurs esprits recouvrèrent ;
Car nos Lutins s’étaient lors envolés.
Comme ils bâillaient, Monsieur de Saint-Antoine,
Environné de Chérubins ailés,
Vint au devant de nos Gaulois troublés.
Ce n’était plus ce pitoyable Moine
Qui soixante ans dans les déserts passa,
Et sa vertu de chardons engraissa.
L’Évêque Ebbo poliment s’avança
Devers le Saint, et l’ergot lui baisa,
Puis il lui fit de leur triste aventure
Une touchante et risible peinture.
Antoine dit : « Tous ces esprits pervers
« Sont une engeance au mal bien intrépide.
« Qui ne sait point les maux qu’en Thébaïde,
« De ces Lutins autrefois j’ai soufferts !
« Ils s’en venaient le soir faire tapage
« Et s’égaudir en mon triste hermitage.
« Il en était de petits et de grands ;
« J’en remarquais de mâles, de femelles,
« Qui pour mon dam étaient souvent trop belles.
« Il en venait de petits pétulans,
« Ingénieux en leurs badineries,