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Est suspendu sur autant de colonnes
Qu’il doit couler de siècles différens.
Chacun d’entre eux, assis sur une roue,
Dans le silence observe le néant :
À côté d’eux la Fortune se joue,
Et les distrait de ce but effrayant
Où le palais s’écroule à chaque instant.
Père, vautour, et tombeau de lui-même,
Le Temps, un pied dans l’éternelle nuit,
À chaque instant meurt et se reproduit.
Sa longue faux, triste et cruel emblême,
Par un des bouts offre un fer émoussé,
Languissamment tourné vers le passé,
Et l’autre bout frappe, renverse, et foule
De l’avenir le trône qui s’écroule.
Les Passions, dans leurs bras séduisans,
Cherchent en vain à retenir le Temps ;
Impétueux, il vole avec audace
Parmi les fleurs mourantes sous sa trace.
Les champs voisins sont par-tout hérissés
De vieux tombeaux et de sceptres brisés.
Sous un portique était l’urne fragile
Où chaque siècle et ses événemens
Étaient par ordre, et rangés en leur temps.
Vous étiez là, troupe vaine et futile
De Souverains, de Prélats, de Docteurs,
Dans le néant où sont restés vos cœurs.
Là la Beauté, pour ses charmes damnée,
Qui, dans sa fleur, devait être fanée ;
Là des Héros, tranquilles assassins,
Comblés de jours et rangés chez les Saints.
Quand Charlemagne, au travers de ce vase,
Vit le premier[1] de sa postérité,
Nourri de pleurs dans la captivité,
Il demeura dans une sombre extase.
« Ah je plains bien, s’écria ce bon Roi,

  1. Louis le Débonnaire.