Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pâle, tremblante, et d’une voix pénible,
En embrassant ce visage insensible :
« Est-ce done là, fils trop infortuné,
« L’espoir brillant que tu m’avais donné ?
« Ah ! sont-ce là ces lauriers, cette gloire,
« Et ce front ceint des mains de la victoire !
« Mais ma douleur n’accuse pas le sort ;
« C’est moi qui suis la cause de sa mort.
« Regret affreux pour mon âme éperdue !
« Mon art pouvait, par des charmes heureux,
« De mon palais lui fermer toute issue,
« L’environner de rochers sourcilleux.
« Et ne laisser que la route des cieux !…
« Mais, mon cher fils, c’était ta destinée,
« Et la mienne est de vivre infortunée…
« Le seul plaisir de mon cœur affligé
« Est, s’il te perd, du moins qu’il t’a vengé. »
Sa voix alors sur ses lèvres expire,
D’un bras tremblant son voile elle déchire,
Et des lambeaux, de ses larmes baignés,
Couvre ces yeux à la nuit condamnés.
Quelques Démons qu’elle avait amenés,
Prirent son fils, sur son char le posèrent,
Et par les cieux les lions l’emportèrent.
Les deux partis ont reculé d’horreur.
De Brandamar on plaint la destinée ;
Mais l’on excuse une mère égarée.
Bientôt la Nuit, mère de la Terreur,
Des combattans vint ralentir l’ardeur.
Les Chevaliers retournent dans leur tente,
Main fracassée, et l’autre triomphante,
Faire l’amour, et changer de harnois.
On entendait dans le camp des Gaulois,
Et des sanglots, et des chansons à boire.
Le tendre Amour pleure sur les débris
De tant de cœurs à son culte ravis,
Qui, dans ce jour, ont passé l’onde noire.
Le Dieu Morphée, avec ses froids pavots,