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Mais tout à coup le formidable espace
Qui séparait tous ces fous pleins d'audace,
A disparu sous les pas des chevaux;
Un bruit de guerre a frappé les côteaux.
Audacieux, les Braves s'élancèrent,
Et, confondus, les escadrons chargèrent.
Des braquemarts heurtés avec fracas,
On voit jaillir des torrents d'étincelles;
Tout est en feu, les bras croisent les bras,
Le sang jaillit des blessures mortelles,
De mille traits les airs sont obscurcis,
De cris affreux les rochers retentissent,
Les eaux du Rhin de carnage rougissent,
Et vont bientôt épouvanter Thétis.
Un coup de sabre emporte à Théleminte
Morceau de heaume où sa Dame était peinte :
On l'y voyait, timide avec ardeur,
Faible sans art, et vive avec langueur;
Son bras de lait retient avec mollesse
Un fin tissu, dont l'imprudent écueil
Montre à l'esprit ce qu'il dérobe à l'œil;
Fragile emploi, dont souvent, par finesse,
Dame Rigueur a chargé la Faiblesse.
Notre Saxon roule les yeux par-tout,
Pour découvrir l'Auteur d'un pareil coup;
Mais un second, sur sa cuirasse grise,
Dans les enfers évoque sa surprise,
Et l'envoya rejoindre ses amis,
Non baptisés, et pour cela rôtis.
Au haut des airs, sur un nuage assis,
D'un rire sot, madame Balourdise
Applaudissait au courage inhumain,
Aux cris aigus des Soldats en furie,
Aux froissemens des armures d'airain,
Au point d'honneur de la Chevalerie;
Et la Discorde, une crosse à la main,
De noirs serpens la tête échevelée,
Allait partout criant dans la mêlée :