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Au fin souris, aux tresses vagabondes,
Qui, s’animant au bruit de leurs chansons,
Sans les courber, dansaient sur les gazons.
Un cri joyeux sortit du sein des ondes,
Et tout à coup de mille tourbillons
L’on vit jaillir et Nymphes et Tritons,
Qui, pour chanter l’Amour et ses poisons,
Étaient sortis de leurs grottes profondes.
Le Ciel parut et plus frais et plus pur,
Et se peignit du plus riant azur ;
Le vent se tut, les oiseaux préludèrent,
Et ces accents dans la plaine volèrent :
« Qui que tu sois, aimable Chevalier,
« Que le hasard conduit sur cette rive,
« Vois-tu le Temps ? sa course fugitive
« Nous avertit de jouir et d’aimer.
« Écoute bien. La vie est une rose
« Qu’épanouit et fane le Zéphir ;
« Le char du Temps ne fait aucune pause
« Que celles-là qu’il fait pour le plaisir.
« Tout nous le dit : oui, la vie est un songe.
« Les yeux fermés, rêvons tranquillement ;
« Par les erreurs le plaisir se prolonge,
« Et le sommeil est moins indifférent.
« Dans les amours passons notre jeunesse ;
« Allons brûler à l’autel des plaisirs,
« Et dans nos cœurs, durcis par la vieillesse,
« Préparons-nous d’aimables souvenirs. »
Nymphes, Tritons, à ces mots s’embrassèrent,
Et sous les flots ainsi se replongèrent.
L’une partant demeura sur les flots,
Elle tendait les bras à mon Héros ;
Sur ses appas l’onde claire et tremblante
Paraît au cœur une gaze piquante.
Ses yeux étaient animés par l’amour ;
Son teint était aussi pur que le jour ;
Sa bouche était le sourire lui-même ;
Et du désir la violence extrême,