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L’autre s’y traîne engourdi par le vin.
L’Enchanteresse, agitant sa baguette,
On entendit tout à coup dans les champs
Des cris affreux, d’horribles hurlemens :
Les pénaillons fuyaient le mords aux dents.
Mais, malgré lui, chacun soudain s’arrête,
Un froid mortel a glacé tous ses sens.
Les fiers coursiers, qui couraient à la file,
Contre la mort luttent quelques instants ;
Mais à la fin chacun reste immobile,
Un pied levé, l’œil vif, les crins mouvans,
Et l’on croirait qu’ils sont encor vivans.
Pour nos roussins, savez-vous ce qu’ils firent ?
Par ce mot-là ces bons Moines j’entends,
Qui de monture à quelques-uns servirent.
Comme ils dormaient, vers le Rhin ils s’enfuirent :
Certain Pasteur un gué leur indiqua,
À l’autre bord chacun d’eux arriva,
Non toutefois sans périlleuse esclandre.
Frère Lucas et le Prieur Cassandre
Burent de l’eau pour la première fois ;
Les flots pressés gémirent sous leur poids ;
À leur aspect, les Naïades timides
Se tapissaient dans leurs grottes humides.
Leur troupe arrive au camp du Roi Charlot,
Qui, dans les bras d’une Belle ratée,
À ce récit se réveille en sursaut.
« Les ennemis ravagent la contrée,
« Bon nombre d’eux a traversé le Rhin,
« Dans les saints lieux ils ont dressé la table,
« Ont pris l’argent, ont bu tout notre vin,
« Et le couvent est maintenant au diable,
« Mais vous pouvez cogner ces antechrists ;
« Non loin du fleuve ils se sont endormis,
« Las du chemin ainsi que de débauche. »
« À moi, Picards, dit Charlot, mes amis ! »
Vite l’on s’arme, on s’équipe, on chevauche,
Et vers l’aurore on joint les ennemis.