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Et sa grand’barbe aux filets d’Arachnée.
Elles chantaient les louanges de Dieu,
Quand tout à coup un bruit épouvantable
Fit retentir les voûtes du saint lieu.
Sœur Coribande, illustre et vénérable,
Monte à la tour, et voit un régiment
Environner les portes du couvent.
Elle descend, et sa bouche édentée,
Par la frayeur encor plus empâtée,
Fait son rapport, que point l’on n’entendit,
Mais qu’au fracas beaucoup mieux on comprit.
On se lamente, on se met en prière ;
On pleure, on court, on crie, on délibère.
Les jeunes Sœurs, simples comme leur foi,
Voyaient pleurer, et demandaient pourquoi ?
Miséricorde ! ô ciel ! bonté divine,
Secourez-nous dans notre affliction !
Pour comble encor, dans la ville voisine,
André, ce jour, était en mission.
Enfin voici ce que l’Abbesse antique
Tira du fond de sa tête gothique :
« Mes chères Sœurs, il est très-évident
« Que ces bandits vont forcer le couvent.
« Pour les félons nous n’aurions plus de charmes,
« Nous verserions de ridicules larmes,
« Et ne pouvant leur donner de plaisir,
« Ils le prendraient à nous faire souffrir.
« Quand j’étais jeune, il me souvient encore
« Qu’en pareil cas, l’Abbesse Éléonore,
« Dans cette tour les vieilles enferma ;
« Enfans perdus, les jeunes on laissa.
« Le tour, je crois, n’était pas des plus gauches.
« Laissons encor les plus jeunes Nonnains,
« Et dans la tour assurons nos destins.
« Quand les félons seront las de débauches,
« Ils s’en iront, du reste peu jaloux,
« Et les brebis auront vaincu les loups. »
Sœur Abacuc, scrupuleuse et sans tache,