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CHANT XI

ARGUMENT

Comment un Régiment Saxon passa le Rhin, ravagea la contrée et viola un moutier ; de ce qu'il arriva à Charlemagne en les poursuivant.


Au nom du père, et fils, et Saint-Esprit,
Ainsi soit-il. Tout Chrétien qui sait vivre,
Commence ainsi tout ce qu’il fait et dit.
Moi done qui suis de dévotion ivre,
Et tout confit, ainsi qu’une Nonnain,
Par me signer je commence ce livre,
Pour écarter de moi l’Esprit malin :
Car vous savez, mes frères, que le Diable
Sans cesse rôde à l’entour de l’étable.
Il est des gens qui riront de ma foi ;
Mauvais plaisans, ils ne savent que rire,
Et moi, je sais suivre la sainte loi,
Prier pour eux, et souffrir sans rien dire.
Ils riront bien, quand ils seront damnés,
Quand ils cuiront au fond de la chaudière ;
Et moi, brillant au séjour de lumière,
Au Paradis, dans ces lieux fortunés,
Où l’âme pure, au sein d’un Dieu qui l’aime,
Goûte à jamais la volupté suprême,
Je rirai bien, à mon tour, de les voir,
Grincer les dents sur le rivage noir ;
Ils vomiront la rage et le blasphème,
Et c’est alors qu’ils se mordront les doigts
D’avoir honni mes bons signes de croix.
Douze cents Preux de l’armée ennemie,
Moitié piétons, moitié cavalerie,
À mille traits environ de leur camp ;
En certain gué, sans bruit et sans encombre,
À la faveur de Morphée et de l’ombre,
Avaient passé le Rhin subitement.