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« Froid, sans amour, et baigné de son sang ?
« Ô ciel ! reprends et ma gloire et mon trône ;
« Sans le bonheur, qu’est-ce qu’une couronne ? »
« Lorsqu’au Destin il a plu de sévir,
Dit le vieillard, qui la voit égarée.
« Il faut céder, ma fille. » — « Il faut mourir ! »
Répond la Reine. À ces mots, effarée,
Elle se lève, et veut chercher la mort.
Le bon Pasteur l’arrête avec effort.
« Je vous suivrai, disait-il, dans le fleuve,
« Et vous serez cause que mes enfans,
« Que mes enfans et ma mourante veuve
« Rempliront l’air de leurs cris languissans.
« Avec horreur ils liront sur le sable,
« De mon trépas le secret déplorable.
« Songez encor, si ce faible intérêt
« Ne peut fléchir un coupable projet,
« Que votre mort, outrageant la Nature,
« Laisse un amant privé de sépulture.
« Venez lui rendre encore cet honneur ;
« Mourez après, mais mourez de douleur ! »
Les yeux au Ciel. la touchante héroïne
Devers le camp avec lui s’achemine.
L’aveugle rage avait fait place enfin
Au repentir, aux regrets, au chagrin.
L’un pleure un fils, un autre pleure un père ;
Pour un ami, l’autre se désespère.
On n’entendait que des cris de douleurs ;
On ne voyait que du sang et des pleurs.
Vers son amant Caroline s’élance,
Baise son sein, sa bouche, ses beaux yeux,
Et des sanglots sont ses derniers adieux.
Quatre soldats mettent en croix leur lance,
Et vers le Rhin emmènent le Guerrier
Sous les rameaux d’un pale penplier.
Le bon vieillard, par aventure essaye
Un baume heureux qu’il répand dans la plaie ;
Bientôt après il entend un soupir ;