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« Et l’horizon, dans son vaste contour,
« Aux Nautoniers, tous glacés d’épouvante,
« Ne présentait que des montagnes d’eau,
« Que ce rocher, et qu’un vaste tombeau.
« La mer mugit, et la vague qui brûle,
« Sur les vaisseaux fond, éclate, et recule.
« Je m’écriai, pour épuiser mes pleurs :
« Est-ce trop peu de mes propres malheurs !
« La nuit survint ; les éclairs, le tonnerre
« Brillèrent seuls durant la nuit entière.
« Je recueillis à l’aube, sur ce bord,
« Quelques Nochers échappés à la mort ;
« Leur vaisseau seul, respecté du naufrage,
« Sous des rochers qui cintrent le rivage,
« Par le hasard avait été jeté ;
« Asile affreux, mais plein de sûreté.
« Je les rendis, par mes soins, à la vie,
« Et je vois bien qu’ils n’ont pas oublié
« Le vœu d’aller bientôt dans ma patrie,
« Que m’avait fait leur tranquille pitié ».
Monsieur de Blois embrassait Marguerite ;
Paul Enguerrand de pleurs baignait sa main ;
Henri de Guise, esprit tendre et chagrin,
Disait, versant des larmes d’Héraclite :
« Jaloux de voir son œuvre trop parfait,
« Dieu sur la terre envoya l’Intérêt ;
« L’enfer ouvrit son gouffre épouvantable,
« Et nous vomit ce monstre impitoyable.
« Dans ces beaux jours écoulés à jamais,
« Et dont nos cœurs conservent la chimère,
« Jours fortunés de candeur et de paix,
« Où Dieu sans doute habitait sur la terre,
« L’Indépendance avec l’Égalité
« Gouvernaient l’homme, enfant de la Nature,
« Et destiné, par son essence pure,
« À la vertu comme à la liberté.
« L’autorité de criminelles loix,
« De ses penchans n’étouffait point la voix.