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 « Et je lisais sur son front amoureux
« Ses sentimens, et les miens avec eux.
« Ah ! j’ignorais que s’aimer fût un crime !
« Il l’ignorait sans doute comme moi ;
« Il me donna, je lui donnai ma foi ;
« De mes faveurs je parai ma victime ;
« Mais inquiète, et sans savoir pourquoi !…
« Plaisirs cruels, de combien de détresse
« Mon triste cœur a payé votre ivresse !
« Je devins grosse, et mon crime innocent
« Trahit bientôt mon malheureux amant.
« Baigné de pleurs, il va trouver ma mère,
« Pour implorer sa générosité.
« Il était pauvre, et mon père irrité,
« En le voyant, saisit un cimeterre… »
« Frappez, dit-il ; mais vous êtes mon père.
« Je dois mourir, sinon de votre main,
« D’amour, d’horreur, de honte et de chagrin.
« Mais épargnez votre fille adorable.
« Je l’ai séduite, et voici le coupable,
« Ce faible cœur, qui seul a fait le mal,
« Et qui croyait le vôtre plus loyal ».
« Ma mère alors, implacable tigresse,
« De son époux gourmande la faiblesse,
« Et de sa main, sa main court arracher
« L’acier fatal qui semblait trébucher.
« Mon père cède à sa bouillante rage ;
« Ma mère vole, épouvantable image !
« Ah ! mon amant ! ah ! ce sein adoré
« De mille coups est déjà déchiré !
« Ô juste ciel ! ô jour que je déteste !
« J’ai pu te voir après ce coup funeste !
« Il expirait, et ses derniers accens
« Étaient : Seigneur, épargnez vos enfans !
« Cher Archambau, peut-être que ton ombre
« Cherche d’Evreux sur le rivage sombre.
« Trop faible, hélas ! ton amour ne croit pas
« Qu’elle aura pu survivre à ton trépas :