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« Tu n’y vois point les monstres détestables
« Dont la fureur nous a trouvés coupables.
« Après mon lait, tu vivras de mes pleurs » !
A:insi parlait la faible Marguerite,
Baignant de pleurs, serrant contre son sein
Ce tendre fruit de sa flamme proscrite,
Qui la pressait d’une innocente main,
Et souriait à son cruel destin.
Une autre fois, d’Evreux étend la vue
Sur cette humide et déserte étendue.
Chaque vaisseau qui point dans le lointain,
Lui rend l’espoir, et l’emporte soudain.
Un soir enfin qu’en proie à sa détresse,
Sur le rivage elle se désolait,
Un bruit s’entend, et voici qu’il paraît
Trois paladins armés de toute pièce.
« Guise, ô mon frère, ô mon frère, Enguerrand » !
D’Evreux alors tombe sans mouvement ;
Mais le plaisir la rend à la lumière.
« Je te revois, je t’embrasse, ô mon frère » !
Monsieur de Blois, de pleurs de sentiment,
Baigne la sœur, et la mère, et l’enfant.
Sans se parler, long-temps ils demeurèrent,
Et dans leurs bras tous quatre se pressèrent.
Sous un rocher d’Evreux les conduisit,
Et pour repas des figues leur servit.
« Ô mes amis ! leur dit-elle ; ô mon frère !
« Vous la voyez la roche hospitalière,
« Qui, dans ma peine, en son sein m’a reçu :
« Ici trois ans ma douleur a vécu ;
« Ici naquit cette faible victime,
« Ce faible enfant dont la vie est le crime.
« Et mes parens, ils sont sans doute morts ?
« On ne saurait vivre avec les remords ».
« Ils ne sont plus, lui répondit le Comte.
« Dieu les frappa d’une vengeance prompte :
« J’eus à pleurer dans le même moment
« Tant de malheurs, et celui de survivre