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« Auront jeté le voile de la mort ».
Le juste Ciel, vers les côtes de France,
Fit naviguer, au bout de quelques mois,
Les Nautonniers, qui, par reconnaissance,
Ou par l’attrait de quelque récompense,
Cherchent le Comte en la cité de Blois.
Les yeux sans cesse étendus vers la France,
Dans son désert, Marguerite d’Evreux
Se nourrissait d’une frêle espérance,
Depuis le jour de ce naufrage heureux.
Dans les ennuis de sa longue détresse,
Elle croyait, tantôt que les Marchands
Ont oublié ses maux et leur promesse ;
Tantôt l’espoir adoucit ses tourmens ;
Elle disait : « Je reverrai peut-être
« Ces champs fatals où le Ciel m’a fait naître ;
« J’embrasserai l’urne de mon amant,
« Cette urne, Ciel, dont mon cœur est l’image !
« Tu pleureras, fatal et tendre enfant,
« Tu pleureras sur ce cher monument
« Où git le cœur dont le tien est l’ouvrage !
« Son crime fut un malheureux amour,
« Et le moment qui l’a donné le jour.
« Le sort cruel refuse à ta misère
« De proférer jamais le nom de père.
« Tu ne pourras dans le monde espérer
« D’autre bonheur que celui de pleurer.
« Si la douleur consume enfin ma vie,
« Sans nom, proscrit. tu fuiras ta patrie ;
« Dans le tombeau, je ne pourrai plus, moi,
« Te consoler, ni pleurer avec toi ;
« Le préjugé te refusera même,
« Et la douceur et le soulagement
« De confier, dans ta misère extrême,
« De tes malheurs le secret flétrissant.
« Ciel ! est-ce là la funeste espérance
« Dont je me flatte en retournant en France ?
« Ah ! rien ici n’outrage tes malheurs ;