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Tel un renard aux jarrets étendus,
Lequel traînait dans sa gueule imprudente,
À ses petits une poule sanglante,
Aux jappemens des mâtins accourus,
Lâche sa proie, et trompe leur attente.
Nos deux amans, après de tels adieux,
Tout stupéfaits, s’envolaient par les cieux.
Ces Paladins étaient Henri de Guise,
Paul Enguerrand, et le Comte de Blois.
Unis de gloire et d’amitié tous trois,
Ils avaient fait ensemble l’entreprise
De délivrer Marguerite d’Evreux.
Depuis trois ans, cette jeune Princesse,
Dans un désert, sur un rocher affreux,
Où se brisait l’océan orageux,
Pleurait l’erreur d’une tendre faiblesse.
On la croyait morte depuis long-tems.
La cruauté de ses lâches parens,
Sur ce rocher l’avait seule exposée
Avec le fruit d’une innocente erreur,
Pour y mourir, au gré de leur fureur.
De faim, de honte, ou plutôt de douleur.
De maints Héros la valeur abusée
Avait long-temps cherché dans l’univers
Le bord heureux, l’impitoyable rive
Qui retenait Marguerite captive ;
Mais vainement. En croisant sur ces mers,
Quelques Marchands d’Antioche et de Damiette
Furent un jour portés par la tempête
Vers ce rocher, où l’amour malheureux
A relégué Marguerite d’Evreux.
« Oh ! si le sort vous mène en ma patrie,
Dit Marguerite à ces Marchands d’Asie,
« Allez à Blois ; mon frère en est Seigneur ;
« Découvrez-lui le destin de sa sœur,
« Car il l’ignore avec toute la terre ;
« Quand je partis, il était à la guerre,
« Et mes parens, sans doute, sur mon sort,