Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis il s’en fut, et l’imprudent fit bien ;
Car un bédaut venait chasser le chien.
Comme on jugeait une cause suprême,
Au Parlement il s’en fut de ce pas,
Où tout à l’heure au Cirque de Cujas
Allaient lutter de braillards Avocats.
Là gravement tousse Monsieur le Juge ;
Là les grugeurs, et là ceux que l’on gruge.
Bref, un Huissier cria : Paix là ! paix là !
L’on silence, et puis l’on commença.
Voici d’abord un début pathétique,
Enluminé de fleurs de rhétorique,
Et dans lequel la lune et le soleil
Jouaient sur-tout un role non pareil.
Des deux côtés, les Avocats tonnèrent,
De tous côtés les oreilles dressèrent.
À ce fracas, on devine aisément
Qu’il s’agissait d’un cas très important.
Si l’on en croit des chroniques certaines,
C’était, Messieurs, pour un licou volé,
Que l’on avait tant et si bien hurlé.
Or vous saurez que, depuis six semaines,
On ne parlait, grand, petit, sage, fou,
Que du licou, du licou, du licou ;
On en parlait à la table du Prince,
Dans les boudoirs de toute la province,
Et ce licou fit lui seul plus d’éclat,
Que n’auraient fait mille crimes d’État.
Sur ce licou l’on fit un nouveau code,
Et les licous devinrent à la mode :
Onc on ne prit un si juste ornement.
Monsieur le Juge, après très longue pause,
L’oreille haute, et le nez renfrognant,
Dans le silence et le recueillement,
Comme il aptait à cette grave cause ;
Après avoir pesé très mûrement
La vérité, prononça posément,
Et toutefois condamna l’innocent.