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« Et que vous fait, ventrebleu, que je pèche ?
« Je veux rôtir avec ces gens fameux,
« Dignes peut-être, et plus que vous, des Cieux ;
« Tant de Beautés célèbres dans le monde,
« Et que dévore, hélas ! le gouffre immonde !
« Ainsi partez, Monsieur le Prédicant,
« Et laissez-moi pécher tranquillement. »
« Ah ! répondit d’une voix tremblotante
Le Saint, saisi d’horreur et d’épouvante,
« Puisse le Ciel, ingrat, vous pardonner !
« Quoi ! mon filleul, vous voulez vous damner ? »
« Oui, je le veux » ; et sans autre parole,
Il vole à lui, le coutelas au poing,
Et d’un grand coup lui fait voler bien loin
Et son oreille, et morceau d’auréole.
Il le poursuit, l’Ange fuit dans les Cieux,
Remplissant l’air de ses cris furieux ;
Et le pervers disait d’un ton profane :
« Trouve mauvais désormais qu’on se damne ! »
Parlant ainsi, dans le vide il planait,
Comme un César, assis sur son baudet,
Qui, respirant dans un air sympathique,
Se rengorgeait, pétait, caracolait,
Et modulait sa voix académique.
Le Chevalier, trottant par le pays,
Roulait partout de grands yeux ébahis.
Il regardait comme chose nouvelle
De trouver là le pauvre genre humain,
Lequel rongeait un ridicule frein,
Sanglé, bridé, courbé sous une selle,
Et, qui pis est, des ânes gravement
Trainés par lui sur un char triomphant.
Là sous le joug quatre bêtes humaines,
 pas comptés, de même que nos bœufs,
Tiraient le soc, et traçaient avec peine
Un dur sillon sur un sol raboteux.
Dans ce pays, les ànes, pour les hommes,
Sont ce qu’ici pour les ânes nous sommes.