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Se promenait à replis onctueux.
Il maugréait, d’une voix clapissante,
Contre le preux, qui, sans permission,
Etait entré dans la sainte Sion.
Organt, flétri de douleur et de rage,
D’un coup de poing soulageant son grand cœur.
Fit reculer Monsieur l’Inquisiteur.
On crut alors le couvent au pillage.
Notre prudent et tranquille Écuyer
Met pied à terre, et cherche le cellier.
Les saints reclus, l’effroi sur le visage,
Priaient Saint-Jean de conjurer l’orage,
Et s’écriaient : « Monsieur le Paladin,
« Ah ! prenez tout, mais laissez-nous le vin. »
Organt leur dit : « Messieurs, mettez la table ;
« Je viens ici boire à votre santé. »
Les porte-froc, à ce discours affable,
Se coloraient d’un air d’aménité.
Bientôt le vin dissipa les alarmes,
Et du tokai la subtile vapeur
Rougit les fronts qu’avait blanchis la peur.
Antoine Organt leur conta ses faits d’armes ;
Il commença d’oublier son chagrin,
Et son amour qu’avait noyé le vin.
Vers le dessert : « Çà, leur dit notre Alcide
« D’une voix forte et d’un air intrépide,
« Ce n’est pas tout : vous voilà rebondis ;
« Il faut, Messieurs, marcher aux ennemis :
« Je les ai vu poindre sur vos montagnes ;
« Le Rhin lui seul vous protège contre eux ;
« Ils vont bientôt fondre dans ces campagnes,
« Et s’en viendront boire votre vin vieux.
« Çà braves gens, armez-vous ; qu’on me suive. »
Parlant ainsi, son redoutable bras,
Aux yeux hagards de la troupe craintive,
Faisait briller un large coutelas.
Le père Luc ne put vider son verre ;
L’un se signa, l’autre fit sa prière,