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« Quoi, lui dit-il, Seigneur ; quoi, nous pleurons !
« Y pensons-nous en bonne conscience,
« Dans l’univers n’est-il d’autres tetons ?
« Vous trouverez mille Nices pour une.
« En attendant, le temps point ne perdons ;
« Le verre en main, bravons notre infortune :
« Heureux, rions ; et malheureux, buvons.
« Le Ciel fort peu s’intéresse à nos peines.
« Les Dieux là-haut, enivrés de nectar,
« Entre les mains de l’aveugle hasard,
« Du genre humain laissent flotter les rênes.
« Notre vie est un fleuve impétueux,
« Libre en sa course. et maître de son onde,
« Qui suit sa pente, et traverse le monde,
« Tantôt parmi des rochers sourcilleux,
« Des lits de fange, un effroyable abîme ;
« Tantôt parmi des sites plus heureux.
« Je plains celui qui se rend la victime
« Des simples jeux du hasard et du sort :
« Je ne crains rien, et même dans la tombe,
« Si, sous ses coups, mon âme ne succombe,
« Après ma mort, je rirai de la mort.
« Votre douleur est douleur inutile,
« Sur la fortune elle ne fera rien ;
« Au reste, elle est et volage et mobile ;
« Par un caprice elle vous òte un bien,
« Que par un autre elle pourra vous rendre.
« En attendant, le parti qu’il faut prendre,
« C’est de livrer votre peine au zéphyr ;
« C’est de chanter. et de rire, et de boire,
« Pour convertir cette peine en plaisir,
« Ou tout le moins en perdre la mémoire.
« Est-ce aux Héros à se laisser charmer » ?
Organt repart : « Ah ! fallait-il aimer » !
Il était nuit, Diane nébuleuse
N’était encor qu’à son premier croissant.
Nice, jouet de sa peine amoureuse,
Sans savoir où, s’en allait cheminant.