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Mais jure-t-on au séjour de lumière ?
L’un d’un côté, l’un de l’autre trottant,
Antoine Organt et sa maîtresse gente,
Au gré de l’Ange allaient se séparant,
Du farfadet suivant la trace errante.
Jean l’Écuyer avait pris les devans,
Pour se choisir une hôtesse vaillante
Et sans façon. Aux yeux des deux amans
Les farfadets galopent dans la plaine ;
Ils les suivaient, courant à perdre haleine.
Nice pensa laisser son capuchon,
Et tous les deux perdirent la raison.
L’Ange gardien, d’une main invisible,
Précipitait leur course irrésistible.
Organt criait : Friponne, cette nuit,
De par Saint-Luc, j’enchaînerai ta fuite !
En ricanant, l’Ombre lui répondit :
Nous le verrons, et puis se précipite.
De son côté, Nice, dont le baudet,
Impatient, les grègues alongeait,
Voyant bien loin percer dans la campagne
Son cher amant sur son cheval d’Espagne,
Criait à l’Ombre : Attendez, s’il vous plaît !
Le jour baissait, la vallée obscurcie
Favorisait cette supercherie.
Organt enfin au logis arriva,
Et Nice aux champs se trouvait loin de là.
Au même instant leurs yeux se dessillèrent,
De tous côtés les regards ils tournèrent ;
Mais vainement. Nice se livre aux pleurs,
Et son amant à d’horribles fureurs.
Tel un lion de l’affreuse Hircanie,
Dont quelque More avare et sans pitié
A terrassé l’imprudente moitié,
Plein de douleur, transporté de furie,
Des longs accens de son sauvage amour
Fait retentir les déserts d’alentour.
Champagne alors vers son maître s’avance.