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On me retrouve au champ d’honneur !
Sulpice.
Aux blessés rendant le courage…
Ou serrant la main du vainqueur !
Marie.
Et puis le soir, à la cantine,
Qui vous ranime par son chant ?…
Sulpice.
Qui nous excite et nous lutine ?
Crédié ! c’est encor notre enfant !…
Marie.
Puis, au régiment, voulant faire
Mes preuves de capacité,
On m’a fait passer vivandière.
Sulpice.
Nommée à l’unanimité !…
tous les deux.
Oui, morbleu ! elle est vivandière,
je suis
Nommée à l’unanimité !
Marie, avec énergie.
Oui, je le crois, à la bataille,
S’il le fallait, je marcherais !
Sulpice.
Elle marcherait !
Marie, de même.
Oui, je braverais la mitraille,
Et comme vous je me battrais !
Sulpice.
Elle se battrait !
Marie.
On dit que l’on tient de son père,
Je tiens du mien !
Sulpice, avec joie.
Elle tient du sien !
Marie.
Comme à lui, la gloire m’est chère !
Je ne crains rien !
Sulpice.
Elle ne craint rien !
Marie.
En avant ! en avant !
C’est le cri du régiment !
tous les deux.
En avant ! en avant !
C’est le cri du régiment !
ENSEMBLE.
Marie.
Au bruit de la guerre,
J’ai reçu le jour !
À tout je préfère
Etc…
Sulpice.
Au bruit de la guerre
Elle a reçu le jour,
Et son cœur préfère
Etc…

Marie. Eh bien ! à la bonne heure, mon ancien… te voilà plus gai qu’hier !…

Sulpice. Comment, plus gai ?… Mais je le suis toujours !…

Marie. Oh ! toujours !… j’ai bien vu qu’hier on essuyait une larme… on passait sa main sur ces vieilles moustaches… ce qui est signe d’orage… Il y avait là du chagrin…

Sulpice. Un peu, c’est vrai !… j’avais le cœur serré comme le soir d’une bataille, quand on compte les amis qu’on a perdus… Je me rappelais qu’il y a douze ans, à pareil jour, je traversais ces mêmes montagnes avec de braves camarades qui n’y sont plus… De ce temps-là, vois-tu, Marie, il ne reste plus que moi… (Lui tendant la main.) Et toi !…

Marie. Comme ça, nous sommes les deux plus vieux grenadiers du régiment !…

Sulpice. Je m’y vois encore… Les Autrichiens fuyaient devant nous… la route était couverte de caissons brisés… de paysans qui demandaient grâce !… tout à coup, dans la foule, sous les pieds des chevaux, nous apercevons un enfant abandonné qui semblait nous sourire et nous tendre ses petites mains…

Marie. C’était moi !…

Sulpice. Mes amis, nous cria un vieil officier qui était à notre tête… Il est resté à Eylau celui-là !… « Mes amis, c’est le ciel qui nous donne cet enfant… il sera le nôtre… » et il t’élevait dans ses bras… nous agitions nos shakos au bout de nos fusils, en répétant : « Oui ! oui !… notre enfant… » et le régiment t’adopta… et tu fus baptisée sur le champ de bataille… où nous t’avions trouvée… et voilà comme tu es devenue la fille du vingt-unième.

Marie. La fille du régiment…

Sulpice. Élevée avec nos économies… une retenue sur la paye de chaque mois… aussi, l’éducation est soignée, quoique tu sois un peu gâtée, et que tu nous mènes comme le tambour… n’importe ! obéissance passive… ça se transmet de grenadier en grenadier… les soldats s’en vont, mais le régiment reste… et les conscrits qui nous arrivent te disent, en défilant devant toi, la main au bonnet : Bonjour, ma fille !…

Marie, faisant le même geste. Et je leur réponds : Bonjour, mon père !…

Sulpice. Au fait, tu n’en as pas d’autre !… il n’y a pas eu moyen de découvrir ton pays, ta famille, malgré la lettre amphigourique que nous avions trouvée auprès de toi, et qui a passé dans mon sac, à poste fixe…

Marie. Mon bon Sulpice !…

Sulpice. Aussi, nous remplirons à ton égard tous les devoirs de la paternité… Et quand ton cœur aura pris sa feuille de route… ton père s’assemblera en masse, et s’occupera de ton établissement.

Marie. Oh ! ça ne presse pas !…

Sulpice. Comme tu me dis ça !… Est-ce que, par hasard, les camarades auraient raison ?…

Marie, troublée. Les camarades…

Sulpice, l’examinant. Ils racontent que