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Sulpice. C’est bien de l’honneur, madame la marquise.

La Marquise. Il y a des secrets qui brisent le cœur ; vous me plaindrez, je l’espère, et vous ne m’abandonnerez pas !…

Sulpice, à part. Que va-t-elle me dire, bon Dieu !

La Marquise. La haute noblesse de ma famille, son désir de me faire contracter un mariage digne mon nom, m’avait condamnée au célibat, bien au delà de l’âge où les demoiselles de mon rang se marient d’ordinaire. J’avais trente ans, et quoique belle alors, j’étais libre encore…

Sulpice, à part. Pauvre fille !

La Marquise. Le capitaine Robert m’avait vue… et mes faibles attraits lui inspirèrent des pensées bien coupables…

Sulpice. On dit qu’il était…

La Marquise. Charmant !… je l’aimais, je ne m’en défends pas… et malgré mon horreur pour une mésalliance, je lui aurais donné ma main, si son départ pour une campagne nouvelle ne nous eût brusquement séparés à Genève, où j’avais eu la faiblesse de le suivre en secret…

Sulpice. Ah ! ah !

La Marquise. Quelque temps après, je vins l’attendre dans ce château… mais j’y revins seule… sans elle…

Sulpice. Elle !… qui donc ?

La Marquise. Ma fille !…

Sulpice. Marie !…

La Marquise. Ma fille… dont il fallait cacher la naissance au risque de me perdre…

Sulpice, à part. Oui… oui… j’y suis à présent !…

La Marquise. Comprenez-vous, maintenant, pourquoi entourée de cette noblesse si fière, si hautaine… je tremble que mon secret n’éclate à tous les yeux… comprenez-vous aussi… que j’aime Marie, et que me l’enlever ce serait m’arracher la vie…

Sulpice. On ne vous l’enlèvera pas, madame la marquise, on ne vous l’enlèvera pas !

La Marquise. Ce mariage sauve tout… il donne un nom, un rang à celle que je ne puis avouer… et me permet de lui assurer toute ma fortune… décidez Marie à le contracter… et j’aurai pour vous une éternelle reconnaissance !…

Sulpice. Suffit, madame la marquise… suffit !

La Marquise. Et quant à mon aveu, songez-y, Sulpice… c’est ma vie, mon honneur que je vous ai confiés !…

Sulpice. Fiez-vous à moi, madame la marquise… un cœur de soldat… ça ne trompe pas… et ça ne trahit jamais !


Scène XIII.

Les Mêmes, Hortensius.

Hortensius. Madame la marquise !… (Ils se séparent avec effroi ; Hortensius recule.)

La Marquise. Qu’y a-t-il ?… que me voulez-vous ?

Hortensius. La société commence à venir… le notaire attend déjà dans la bibliothèque… et tous vos vassaux s’apprêtent à danser devant le château !…

La Marquise, à part. À mon Dieu ! dans quel moment !…

Hortensius, bas à Sulpice. Et les autres qui sont là-bas, à boire…

La Marquise, à Hortensius. Eh bien ! faites entrer le notaire… c’est ici que je recevrai… sortez !… (Hortensius sort. À Sulpice.) Ne perdez pas un instant… allez trouver Marie… allez !…

Sulpice. J’y vais, madame la marquise… j’y vais… mais, tenez, à votre place, moi je chercherais un autre moyen de faire le bonheur de Marie… et je romprais tout cela…

La Marquise. Mais je le voudrais maintenant, que je ne le pourrais plus sans un bruit, un scandale qui éveillerait peut-être des soupçons !… Eh ! tenez, les voici… je compte sur vous, sur vous seul, mon brave Sulpice… (lui tendant la main.) Mon ami !…

Sulpice. Madame la marquise !… (À part.) Pauvre femme !… et quand je songe que depuis un an, Marie est là, près d’elle… et qu’elle n’ose pas… cré coquin !… mais moi, à sa place, je lui dirais vingt fois par jour en l’embrassant… je suis ta… (Voyant la Marquise qui le regarde.) J’y vais, madame la marquise… (Il sort vivement.)


Scène XIV.

La Marquise, Un Valet faisant entrer successivement les personnes invitées. Le Notaire, La Duchesse.

(On entend un air de valse sous les fenêtres du château.)

La Marquise, à elle-même. J’éprouve un trouble… une agitation… et recevoir dans un pareil moment ! (Allant à la Duchesse qui entre.) Ah ! madame la duchesse… avec quelle impatience nous vous attendions, ma nièce et moi… je vais avoir l’honneur de vous la présenter tout à l’heure…

La Duchesse. N’est-elle point ici ?…

La Marquise. Elle va venir… sa toilette qu’elle finit… elle a tant à cœur de plaire à madame la duchesse… et puis, vous le savez… le trouble, l’émotion d’un pareil moment !…

Le Notaire, développant le contrat. Tout le monde est-il présent ?…

La Duchesse, avec ironie. Tout le monde, excepté la future… et à moins qu’une indisposition…

La Marquise. Sans doute… elle a les nerfs si délicats… je vais envoyer savoir… (Aper-