Sulpice, avec ironie. Un homme qui… un homme que…
Hortensius. Enfin, allez-y voir.
Sulpice. C’est bien… on y va ! c’est étonnant comme il est aimable. (À Marie.) Allons, ferme ! puisque la vieille le veut… c’est pour ton bien… elle t’aime tant… voyons… un peu de courage.
Marie, tristement. J’en aurai… je te le promets.
Hortensius, bas à Sulpice. C’est un soldat… avec une épaulette en or.
Sulpice, s’arrêtant. Ah bah !
Marie, se retournant. Hein ? qu’est-ce que c’est ?
Sulpice, balbutiant. Rien !… rien. C’est un homme qui… un homme que… (À part.) Mille z’yeux ! ça m’a coupé la respiration. (Haut à Marie.) Attends-moi, mon enfant. (Il sort.)
Hortensius, à part. Oui… un soldat… deux soldats… et puis l’autre… c’est une caserne que ce château ! (Il sort.)
Scène VI.
- C’en est donc fait et mon sort va changer,
- Et personne en ces lieux ne vient me protéger !…
- Par le rang et par l’opulence,
- En vain l’on a cru m’éblouir ;
- Il me faut taire ma souffrance…
- Et ne vivre qu’en souvenir !…
- Sous les bijoux et la dentelle,
- Cachons des chagrins superflus…
- À quoi donc me sert d’être belle,
- Puisque hélas ! il ne m’aime plus !
- Ô vous à qui je fus ravie, (Agitato.)
- Dont j’ai partagé le destin…
- Je donnerais toute ma vie
- Pour pouvoir vous serrer la main !
- Pour ce contrat fatal tout prend un air de fête…
- Je vais signer, hélas ! mon malheur qui s’apprête !
(Elle va pour sortir, s’arrête tout à coup, en entendant au loin une marche militaire ; elle écoute attentivement et dit avec joie.)
- Mais qu’entends-je au lointain ?… ciel ! ne rêvé-je pas ?
- Cette marche guerrière… ah ! voilà bien leurs pas.
(Elle court à la fenêtre, l’ouvre et agite son mouchoir.)
- Ô transport ! douce ivresse !
- Mes amis, en ces lieux !
- Souvenirs de tendresse,
- Revenez avec eux !
- Salut à la France ! (Cabaletta.)
- À mes beaux jours !
- À l’espérance !
- À mes amours !
- Salut à la gloire !
- Voilà pour mon cœur,
- Avec la victoire,
- L’instant du bonheur !
Scène VII.
- C’est elle ! c’est notre fille !
- Notre enfant ! quel destin !
- Tes amis, ta famille,
- Te retrouvent enfin !
- Mes amis ! mes amis ! votre main !… dans vos bras !
- De plaisir, de surprise, ah ! l’on ne meurt donc pas !
- Salut à la France !
- À mes beaux jours !
- À l’espérance !
- À mes amours !
- Salut à la France !
Marie.
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Chœur.
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Scène VIII.
Sulpice. Les amis… les camarades ici !…
Tous, l’entourant. Sulpice ! Sulpice !
Sulpice, avec joie. Les voilà tous !… tous près de nous !… Jacques… Thomas… Étienne… pas un ne manque à l’appel !
Marie, cherchant des yeux. Pas un…
Tonio, paraissant. Non, mam’zelle… non… pas un de ceux qui vous aiment !…
Marie, avec joie. Tonio !…
Tonio. Tonio… qui les a guidés… dirigés jusqu’ici !…
Marie. Tonio… mon Tonio !… oh ! cela fait un bien… quand on se croyait oubliée… (À Sulpice.) Mais regardez-le donc… il a une épaulette !…
Tonio. Dam ! quand on veut se faire tuer, on avance !
Sulpice. Je le crois parbleu bien !… salut, mon officier !… et ces pauvres camarades qui sont tous debout, bien fatigués et bien altérés sans doute… il faut les faire boire à ta santé…
Tous. Bien volontiers !…
Marie, à Sulpice. Et ma tante… si elle revenait !…
Sulpice. Tu as raison… mais là-bas, dans l’orangerie… au bout du parc…
Les Soldats. Holà ! quelqu’un ! la maison !
Scène IX.
Hortensius. Ah ! miséricorde !… des soldats… toujours des soldats… Ah ça ! mais il en pleut donc des soldats !… qu’est-ce que c’est que ça ?…
Marie. Mes amis… mes camarades… à qui tu vas donner le meilleur et le plus vieux vin de ma tante…
Hortensius. Par exemple !…
Sulpice, à Hortensius. Tu as entendu le mot d’ordre… marche !…
Hortensius. Comment, marche !… qu’est-ce que c’est que ces manières-là ? ce château est donc au pillage ? Non ! je ne marche pas !