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Le chant allait tout seul.
La Marquise.
Le chant allait tout seul. Ô ciel ! quelle réponse !
Marie.
En avant ! en avant !
Rantanplan ! plan, plan.
C’est le refrain du régiment.
Sulpice et Marie.
En avant ! en avant !
Rantanplan ! plan, plan !
C’est le refrain du régiment !
La Marquise, se bouchant les oreilles, avec dépit.
Ah ! quelle horreur ! Est-il possible
De mêler un air si touchant,
Une romance si sensible,
Avec un chant de régiment !

La Marquise, à Marie. En vérité, ma nièce, je ne vous comprends pas… voilà vos anciennes habitudes, vos chants de régiment qui reviennent encore… Cela me met les nerfs dans un état… Aussi, Sulpice… c’est votre faute… vous l’encouragez !

Sulpice, faisant des signes à Marie. Le fait est que c’est un peu… un peu jovial.

Marie, bas à Sulpice. Comment ! et toi aussi !…

La Marquise. Au nom du ciel, Marie, ne soyez pas ainsi devant votre nouvelle famille ! Vous me l’avez promis à moi, votre bonne tante qui vous aime tant… Il y aurait de quoi rompre à jamais votre illustre mariage !…

Sulpice. Certainement ! c’est trop gaillard pour la circonstance !

La Marquise. Aujourd’hui, surtout, que je réunis les plus nobles têtes du pays… des têtes égales à la mienne !

Sulpice. Cré coquin ! quels chefs de file ! (Un domestique paraît à droite.)

La Marquise. Suivez mes conseils, je vous en prie… Je suis obligée de vous quitter pour faire encore quelques invitations dans les environs… Soyez raisonnable, mon enfant. Allons ! embrassez-moi… tenez-vous droite… levez la tête… là !… comme ça !… À la bonne heure !… Quelle jolie duchesse cela fera ! Embrassez-moi encore… Sulpice ! je vous la confie jusqu’à mon retour !

Sulpice. Suffit, madame la marquise, on fera sa faction en conscience !

La Marquise, se retournant au moment de sortir. Elle est charmante ! (Elle sort par le fond.)


Scène IV.

Marie, Sulpice.

Marie, à part. Tenez-vous droite !… levez la tête !… quel ennui ! quel supplice !

Sulpice. Par file à gauche… la voilà partie !… viens m’embrasser !

Marie, avec effusion. À la bonne heure, donc !… je te retrouve !… te voilà comme autrefois !

Sulpice. Est-ce que je peux t’aimer devant la vieille… elle me tient en respect avec ses grands airs… et puis, ses falbalas, ses panaches… rien ne m’impose comme les panaches !

Marie. Mais, moi… est-ce que je ne suis pas toujours la même pour toi… ta fille… la fille du régiment ?…

Sulpice. Motus sur cet article, mon enfant… te voilà grande dame par la grâce de Dieu et des Pirchefeld… tu as un rang, un nom… comme dit l’ancienne… faut y faire honneur.

Marie. Ah ! mon pauvre Sulpice, que je suis malheureuse !

Sulpice. Malheureuse !… toi, qui vas devenir duchesse, princesse… que sais-je ?

Marie. Oh ! ce mariage, Sulpice… il n’est pas encore fait…

Sulpice. Non… mais il va se faire… et puis, si c’est un brave homme, ton prétendu… tu l’aimeras.

Marie. Je ne crois pas !

Sulpice. Si fait… ça viendra… ça vient toujours.

Marie. C’est que… c’est venu pour un autre !

Sulpice. Nous y voilà !

Marie. Ce pauvre Tonio… ce jeune Tyrolien qui s’est engagé pour moi…

Sulpice. Allons donc !… est-ce qu’il pense encore à toi… depuis qu’il est des nôtres surtout… ces soldats, ça mène le sentiment tambour battant !… je sais ça par expérience, moi !… un amour par étape.

Marie. Tu crois ? j’en ai peur… aussi, de désespoir, j’ai fait tout ce qu’on a voulu… j’ai promis de me marier… à qui ?… je n’en sais rien… ça m’est égal.

Sulpice. À un duc, mon enfant… un grand seigneur… superbe ! Un duc, c’est toujours magnifique… c’est de l’état.

Marie. Et toi, je ne te verrai plus !

Sulpice. Si fait, morbleu ! dès que j’aurai un bras ou une jambe de moins, je reviendrai près de toi… un peu dépareillé. (Montrant son cœur.) Mais de là, toujours complet… et à moins que ton mari ne veuille pas de moi !

Marie. Oh ! quant à ça… sois tranquille, je te ferai mettre dans le contrat de mariage.

Sulpice. C’est ça… avec les charges.


Scène V.

Les Mêmes, Hortensius.

Hortensius. Dites donc, grenadier !

Sulpice. Hein ? voilà ce vieux hibou d’intendant !… Qu’est-ce qu’il y a ?

Hortensius. Il y a, grenadier, qu’on vous demande.

Sulpice. Qui ça… madame la marquise ?

Hortensius. Eh non, grenadier ! puisqu’elle est partie ! C’est un homme qui… un homme que…