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ACTE DEUXIÈME.

Le théâtre représente un salon ouvrant, par trois portes au fond, sur une vaste galerie donnant sur le parc. Portes latérales. À droite, un clavecin. À gauche, une fenêtre et un balcon.


Scène PREMIÈRE.

La Marquise, La Duchesse de Crakentorp, elles sont assises ; à gauche, Un Notaire, devant une table, lisant un contrat de mariage.

Le Notaire, lisant. « Madame la duchesse de Crakentorp cède et abandonne au duc Scipion de Crakentorp, son neveu, son fief et sa baronnie rapportant dix mille florins de rente. »

La Duchesse. Très-bien !

La Marquise, au Notaire. Écrivez que, de mon côté, j’avantage ma nièce de ma terre seigneuriale de Berkenfield.

La Duchesse. À merveille !…

La Marquise, au Notaire. Nous sommes d’accord sur les autres clauses… faites en sorte, Monsieur le notaire, que le contrat de mariage soit prêt à être signé ce soir… (Saluant la Duchesse.) Je ne veux pas retarder l’honneur que madame la duchesse daigne faire à ma famille…

La Duchesse. Ajoutez que Sa Majesté le désirait… et que sa volonté…

Un Valet, annonçant. La voiture de madame la duchesse !…

La Duchesse, se levant. À ce soir, madame la marquise !…

La Marquise. À ce soir, madame la duchesse !…

La Duchesse, arrêtant la Marquise qui la reconduit. Je ne souffrirai pas, madame la marquise…

La Marquise, insistant. Permettez, madame la duchesse !…

La Duchesse, lui faisant la révérence. Madame la marquise !…

La Marquise, de même. Madame la duchesse !… (Elle sort, suivie du Notaire.)


Scène II.

La Marquise, puis Sulpice.

La Marquise, seule. Enfin, la voilà mariée !… mariée à l’un des plus grands seigneurs de l’Allemagne !… Cent cinquante quartiers de noblesse !… Si Marie n’est pas assez heureuse avec ça !…

Sulpice, à la cantonade. C’est bien, pleurard !… on y va.

La Marquise. C’est vous, Sulpice !…

Sulpice. Oui, madame la marquise… votre vieil intendant m’a dit que vous me demandiez.

La Marquise, s’asseyant à gauche. Approchez-vous… approchez-vous… je vous le permets.

Sulpice, à part. Cette vieille femme-là m’intimide comme une première bataille !…

La Marquise. Vous êtes un brave homme, un bon soldat, Sulpice…

Sulpice. Je crois ! morbleu !… (Se reprenant.) Vous êtes bien honnête, madame la marquise !…

La Marquise. Depuis trois mois bientôt que vous fûtes blessé dans l’un de vos affreux combats, et qu’à la prière de Marie, j’obtins qu’on vous transportât dans mon château, je n’ai eu qu’à me louer de vous !

Sulpice. Et moi pareillement, madame la marquise !…

La Marquise. Marie vous écoute… vous avez sa confiance… vous m’avez aidé à la rendre plus docile… Grâce à mes soins, ses maîtres ont eu quelque empire sur elle… son ton et ses manières soldatesques ont presque entièrement disparu…

Sulpice, à part. Merci, l’ancienne !…

La Marquise. Et j’ai pu lui choisir pour époux l’un des plus illustres seigneurs de la Bavière, le duc de Crakentorp. (Elle se lève.)

Sulpice. Voilà un fameux nom !…

La Marquise. Il y avait bien quelques difficultés… La vieille duchesse voulait retarder encore, sous prétexte de l’absence de son neveu… mais j’ai fait passer outre… et tout est convenu !

Sulpice. Et Marie… mademoiselle Marie ?…

La Marquise. Elle a consenti… mais pas avec cet empressement que j’aurais désiré… Aussi, je compte sur vous pour lui donner du courage… Nous signons ce soir même, ici, le contrat qu’on enverra au duc, à la Cour.

Sulpice. C’est ça… un mariage au pas de charge !

La Marquise. Mais ce n’est pas tout ! Les bonnes âmes du pays, jalouses de cette union, après avoir tout fait pour en détourner la duchesse, ont prétendu que Marie était gauche et mal élevée… Et jugez… si l’on se doutait de ce qu’elle a été !…

Sulpice, riant. Vivandière, une future duchesse !…

La Marquise. Silence ! au nom du ciel !… Aussi, je veux les confondre en leur montrant ses grâces, ses talents… Je veux que la voix charmante de Marie les ravisse, les transporte… et que son futur lui-même… Silence ! la voici !…

Sulpice, à part, la voyant entrer. Pauvre fille !… comme elle a l’air gai pour un jour de noces !…


Scène III.

Les Mêmes, Marie.

La Marquise, à Marie. Allons, appro-