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douze ans… mais le vieux serviteur à qui elle fut confiée, surpris dans la panique de Méran, y perdit la vie… Et la seule héritière de ma fortune et de mon nom…

Sulpice. Votre nièce ?

Hortensius. Qui serait baronne aujourd’hui…

La Marquise. Perdue, abandonnée, écrasée dans la foule… morte, la pauvre enfant !

Sulpice. Sauvée !… sauvée, madame de Krikenfield ! sauvée ! grâce à nous !…

La Marquise. Il se pourrait !… Ah ! mon Dieu ! monsieur, soutenez-moi !…

Sulpice. Mille tonnerres !… c’est que j’ai de la peine à me soutenir moi-même.

Hortensius, passant à la Marquise. Et vous êtes sûr ?…

Sulpice. Sauvée, vous dis-je ! par de braves gens, qui n’ont pas demandé si elle était française ou ennemie… qui l’ont élevée, nourrie, soignée, la pauvre petite !…

La Marquise. Vous la connaissez donc ?

Sulpice. Si je la connais !…

Hortensius. Elle est loin d’ici ?

Sulpice. À deux pas !…

La Marquise. Ah ! monsieur ! rendez-moi ma nièce, mon enfant… Conduisez-moi près d’elle… Car vous avez la preuve, n’est-ce pas ?

Sulpice. La preuve ! (Allant ouvrir son sac.) Elle est là, dans mon sac… Une lettre que je n’ai jamais pu lire… Mais, les autres, les savants prétendent qu’avec ça, l’on ne doutera pas de ce qu’est notre Marie…

La Marquise, le suivant. Marie !… Il l’appelle Marie !… Mais encore un mot, monsieur… Cette enfant est-elle digne de moi… de son nom… du nom de Berkenfield ?…

Sulpice, cherchant toujours. De Berkel… Je crois bien !…

La Marquise. Elle a été élevée…

Sulpice. Parfaitement ; je m’en flatte !

Hortensius. Dans des principes…

Sulpice. Solides. Des vertus… et un ton excellent !

Marie, paraissant au fond. Ah ! corbleu ! ont-ils soif, ces gaillards-là !


Scène IX.

Les Mêmes, Marie.

Sulpice, à part. La voilà !

Hortensius, qui a entendu Marie. Comme ça jure, ces femmes-là !

Marie, s’approchant de Sulpice, qui lui tourne le dos. Il me boude ! mais, au fait, c’est un ancien, c’est à moi de faire les avances… (Lui tendant la main.) Sulpice… mon ami…

Sulpice, froidement. Plaît-il ?…

Marie. Allons, faisons la paix !… Tu sais si je vous aime tous, et si Marie voudrait jamais vous quitter…

La Marquise. Marie, dit-elle… Marie… ce serait…

Hortensius, à part. Cette fille-là, une baronne !…

La Marquise, bas à Sulpice. La lettre, monsieur… la lettre !

Sulpice. La voilà. (La Marquise la lit des yeux.)

Marie Eh bien ! tu m’en veux encore… tu détournes les yeux…

Sulpice. Non, mon enfant… non, je ne t’en veux pas… Mais tu seras toujours une bonne fille… tu ne nous oublieras pas…

Marie. Vous oublier ! moi, mes seuls amis ! ma seule famille !…

Sulpice. Ta famille… tu en as une autre, Marie… une grande, bien noble, bien riche.

Marie. Comment ! j’aurais encore des parents… des vrais parents ?… Ah ! ne te fâche pas, mais cette idée-là, vois-tu… c’est malgré soi… ça fait plaisir !…

La Marquise, à Sulpice. J’ai tout lu, monsieur… Cette lettre est bien du capitaine Robert.

Marie. Qu’est-ce que dit donc cette dame ?

Sulpice. Elle dit… elle dit, mon enfant… que tu es sa nièce, et que voilà ta tante !… (Il la pousse dans tes bras de la Marquise.)

Marie Ma tante vous êtes ma tante !… Ah ! sacrebleu ! j’en suis bien aise ?…

La Marquise. Ah ! mon Dieu ! elle jure…

Hortensius, à part. Ô ciel ! quelle éducation !…

Sulpice. Oui, madame la marquise… Marie, notre enfant, que nous avons adoptée au milieu de la bagarre… Le moyen de retrouver sa famille, avec ça… En attendant, elle était orpheline, abandonnée… Il lui fallait un protecteur, un père… et nous étions là…

La Marquise. C’est bien ! vous êtes de braves gens, vous et vos camarades… Je ne l’oublierai pas.

Marie. Je vas vous présenter mon père… le régiment tout entier… (Montrant Sulpice.) En voilà déjà un échantillon… hein…? il est gentil… (Tirant ses moustaches.) Un peu grognard, pourtant !…

La Marquise. Certainement… ils auront des marques de ma reconnaissance… plus tard… (Bas à Hortensius.) Il faut l’enlever à ces gens-là !…

Hortensius, de même. Le plus vite possible !…

La Marquise. Hortensius, demandez des chevaux à l’instant… il me tarde d’emmener ma nièce dans le château de ses ancêtres…