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Sulpice. Ça n’est pas vrai !…

Marie. Je suis ma maîtresse !…

Sulpice. C’est ce que nous verrons !

Marie. Eh bien ! tu le verras ! je m’en irai… je changerai de régiment… Il n’en manque pas dans l’armée, Dieu merci !… Et je suis sûre que du moins, j’y trouverai des camarades plus aimables, et surtout plus généreux que toi !…

Sulpice, la rappelant. Marie ! Marie !… (Avec colère.) Donnez donc de l’éducation à vos enfants !… Mille z’yeux ! une fille que nous avons élevée, qui nous appartient !… elle nous quitterait, l’ingrate !… Ah ! bien oui, si elle croit qu’on change de père comme ça !…


Scène VIII.

Sulpice, La Marquise, Hortensius.

Hortensius, montrant Sulpice à la Marquise. Voilà l’officier français en question… N’ayez pas peur… Il est fort laid, mais très-aimable !…

La Marquise, tremblant. Vous en êtes sûr, Hortensius… Rien que l’habit me fait mal aux nerfs !…

Sulpice, à lui-même. C’est pourtant ce blanc-bec-là qui lui tourne la tête, qui lui fait manquer de respect aux anciens… Mais, au fait, c’est un insurgé ; je le fais arrêter, je l’envoie à Inspruck, et dans les vingt-quatre heures, fusillé !…

La Marquise, effrayée. Ah ! mon Dieu !…

Hortensius, de même, à la Marquise. Il a dit : Fusillé !… (Présentant la marquise à Sulpice.) C’est madame la marquise qui demande à vous parler.

Sulpice. Ah ! c’est madame… (À part.) Ils ont de drôles de têtes dans ce pays-ci !

La Marquise. Oui, monsieur le capitaine !…

Sulpice. Merci ! (À part.) Ils me font monter en grade diablement vite, ces gens-là…

Hortensius. Voici ce que c’est, madame la…

Sulpice, prenant le milieu. Silence dans les rangs !… Madame se faisait l’honneur de me dire…

La Marquise. Monsieur le capitaine…

Sulpice, à part. Elle y tient ! (Haut.) Allez toujours… il n’y a pas de mal, au contraire !…

La Marquise. J’allais partir pour continuer ma route…

Hortensius. Madame la marquise ne faisait que passer…

Sulpice. Silence dans les rangs !

La Marquise. Renonçant à mon voyage, je voulais retourner dans mon château, où l’on est soumis à la Bavière et à la France… mais nos montagnes sont remplies de soldats… et j’ai peur !

Sulpice. Vous êtes bien bonne, madame la marquise !

Hortensius. Vous êtes tous des braves ! on ne craint rien de vous… Mais quelquefois !…

Sulpice. Silence dans les… (À part.) Il est très-bavard, le vieux.

Hortensius, à part. Diable d’homme ! pas moyen de placer un mot !…

La Marquise. J’ai donc pensé que les Français, étant aussi galants que braves, vous ne refuseriez pas de me faire protéger, par quelques-uns de vos soldats, jusqu’à mon château.

Sulpice. À combien d’ici ?

La Marquise. Une petite lieue, tout au plus… De cette montagne, on peut apercevoir les tours de Berkenfield.

Sulpice, étonné. De Ber…

Hortensius. Kenfield !…

Sulpice, surpris. Permettez, madame la marquise… votre château, vous le nommez ?

La Marquise. Eh ! mais, du même nom que moi !

Sulpice, avec éclat. Vous ! sacrebleu ! il se pourrait !… Ah ! pardon, c’est que ce nom-là… Il y a des choses qui coupent la respiration… Ber…

Hortensius. Berkenfield ! C’est un beau nom !…

Sulpice. Eh ! que le diable l’emporte !… Je n’ai jamais pu le prononcer de ma vie… Mais je l’ai bien retenu… C’est donc un nom, un château. Voilà ce qu’on ne pouvait pas deviner… D’ailleurs, comment supposer !…

La Marquise. Que voulez-vous dire ?

Sulpice, à lui-même. Et puis, quel rapport entre ce nom-là et celui de Robert !

La Marquise. Plaît-il ? le capitaine Robert ?…

Sulpice. Capitaine, c’est possible ! un Français !… vous l’avez connu ?

La Marquise, vivement. Beaucoup, monsieur !… (Se reprenant.) C’est-à-dire, non pas moi… mais une personne de ma famille !…

Sulpice. Une cousine… une tante… une sœur ?

La Marquise, vivement. Ma sœur… oui, monsieur… c’était ma sœur !

Sulpice. Et cette sœur, elle existe encore ?…

La Marquise. Elle n’existe plus !… Mais de son mariage avec ce Français, il naquit un enfant…

Sulpice, vivement. Une fille !…

La Marquise. Comment savez-vous ?… En effet, une pauvre enfant que le capitaine m’adressait avant de mourir… Il y a de cela