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Marie.
Très-bien ! très-bien ! J’aimais la guerre,
Je détestais nos ennemis…
Mais, à présent, je suis sincère,
(Le regardant.)
Pour l’un d’eux, hélas ! je frémis !
Tonio.
De mieux en mieux.
Marie.
De mieux en mieux. Et du jour plein d’alarmes,
Où, ranimant mes sens au parfum d’une fleur,
Je la sentis humide de vos larmes…
Tonio.
Eh bien ?…
Marie, baissant les yeux.
Eh bien ?… La douce fleur, trésor rempli de charmes,
Depuis ce jour n’a pas quitté mon cœur.
ENSEMBLE.
Tonio.
De cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour, etc.
Marie.
De cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour.
Tonio.
Oui, je t’aime, Marie…
Je t’aime, et pour toujours !
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !
ENSEMBLE.
Marie.
Sur le cœur de Marie,
Tonio, compte toujours !…
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !
Tonio.
Oui, je t’aime, Marie,
Je t’aime, et pour toujours !…
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !

Scène VI.

Les Mêmes, Sulpice.

Sulpice, les surprenant au moment où Tonio embrasse Marie. Ah ! mille z’yeux !… qu’est-ce que je vois là… encore le Tyrolien !…

Marie. Sulpice !…

Tonio. Ne faites pas attention, mam’zelle… puisque je vous aime… puisque vous m’aimez !

Sulpice, prenant Tonio par le bras. C’est ça… ne vous dérangez pas… on a le temps !

Marie. Eh bien ! quand tu gronderas… ce pauvre garçon ne faisait rien de mal, au contraire…

Sulpice, entre eux. Excusez… un baiser !…

Marie, naïvement. Rien qu’un !…

Sulpice. Que ça ?…

Tonio, s’avançant. Alors, je vas en prendre un autre !…

Sulpice, l’arrêtant. Demi-tour à droite, conscrit !

Tonio. Mais, monsieur le soldat, puisque je l’aime…

Sulpice. Et qu’est-ce qui te l’a permis ?…

Tonio. Mais c’est elle !…

Sulpice. Elle ! ça ne se peut pas, morbleu ! Marie ne peut permettre de l’aimer qu’à un des nôtres… à un brave du vingt-unième, c’est convenu… elle me l’a juré encore tout à l’heure, à moi-même, en personne… il n’y a pas à en revenir !…

Tonio. Comment, mam’zelle… il serait vrai ?

Marie. Oui, Tonio… j’ai promis de n’épouser qu’un des nôtres, si je me mariais jamais… mais rassurez-vous… je ne me marierai pas… j’y suis décidée… je resterai libre… et comme ça, personne n’aura rien à me reprocher… ni le droit de me rendre malheureuse !…

Tonio. Du tout, mam’zelle… vous vous marierez… et avec moi, encore !…

Sulpice. Suffit assez causé !

Tonio, courant à elle. Oh ! vous ne me ferez pas peur, vous !… Laissez donc, mam’zelle… il a beau dire, si vous m’aimez, il n’est pas votre père à lui tout seul… et si les autres me donnent leur consentement… il sera bien obligé d’en passer par là… Adieu ! je ne vous dis que ça !… (Il sort.)


Scène VII.

Sulpice, Marie.

Sulpice. En v’là, un audacieux !… me braver en face… moi, Sulpice Pingot, dit le Grognard… que sa majesté l’Empereur et roi a décoré du grade éminent de sergent, sur le champ de bataille.

Marie. En tout cas ce n’est pas pour ton amabilité…

Sulpice. On ne donne pas de chevrons pour ça !… mais quant à ce maudit Tyrolien, qui veut t’enlever à ton régiment, à tes amis… s’il rôde encore par ici… arrêté comme partisan, et fusillé incontinent !…

Marie. Quelle horreur !… c’est affreux, ce que tu me dis là… c’est d’un mauvais cœur… d’un méchant soldat…

Sulpice. Un méchant soldat !…

Marie. Oui, morbleu !… d’un envieux… d’un tyran… et si le régiment pense comme toi… eh bien ! je te quitterai, je vous quitterai tous… et sans regret encore… car enfin, je suis libre, moi !…