Page:Saint-Georges et Bayard - La Fille du régiment.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Qu’est-ce que j’entends là ?… (Apercevant Tonio, qui descend la montagne.) C’est lui !… ah ! mon Dieu ! comme il court !…

Tonio, accourant. Me v’là, mam’zelle… me v’là !…

Marie. Comment, c’est vous ?… Moi, qui croyais…

Tonio. Que je les suivrais !… J’en ai eu l’air… mais, au détour du bois, à deux pas d’ici, j’ai disparu avant qu’ils aient tourné la tête. Nous sommes agiles, voyez-vous, mam’zelle, dans ce pays-ci… d’autant plus, que je n’ai pas risqué de me faire tuer par vos Français, pour venir faire la conversation avec eux… Ils ne sont déjà pas si aimables… le vieux surtout, qui vous a une figure que je ne peux pas souffrir…

Marie. C’est mon père !…

Tonio. Le vieux ?… Alors, je me trompais… c’est le petit qui était là…

Marie, souriant. C’est encore mon père !

Tonio, stupéfait. Ah bah !… Alors c’est les autres…

Marie. C’est toujours mon père…

Tonio. Ah ça ! vous en avez donc un régiment ?

Marie. Juste !… le régiment… mon père adoptif… je leur dois un état, une éducation soignée… Il n’y pas une fille plus heureuse que moi !…

Tonio. Vrai ?… Oh alors, mam’zelle, ce sont de braves gens… et je vais les aimer à votre intention… Mais c’est égal… sans vous, tout à l’heure…

Marie. Mais aussi, pourquoi veniez-vous aussi près de notre camp… puisque nous nous étions dit adieu… puisque nous ne devions plus nous revoir…

Tonio. Hélas ! mam’zelle… je le croyais… je le voulais même… car enfin, vous êtes Française, je suis Tyrolien… Mais hier, quand j’ai entendu votre régiment se mettre en marche… quand j’ai pensé que vous quittiez le pays… peut-être pour toujours… je n’y ai pas tenu… je me suis sauvé… j’ai couru sur vos traces… et me voilà !…

Marie. Mais enfin, M. Tonio… qu’est-ce que vous me voulez ?… qu’est-ce que vous venez faire ici ?

Tonio. Je viens vous dire que je vous aime… que je n’aimerai jamais que vous… et que je mourrais plutôt que de vous oublier ou de vous perdre…

duo
Marie, à Tonio.
Quoi ! vous m’aimiez ?…
Tonio.
Quoi ! vous m’aimiez ?… Si je vous aime !…
Écoutez !… écoutez !… et jugez vous-même.
Marie, souriant.
Voyons, écoutons !
Écoutons et jugeons !…
Tonio.
Depuis l’instant où, dans mes bras,
Je vous reçus toute tremblante,
Votre image douce et charmante,
Nuit et jour, s’attache à mes pas…
Marie.
Mais, monsieur, c’est de la mémoire,
De la mémoire… et voilà tout…
Tonio.
Attendez… attendez… vous n’êtes pas au bout !
À mes aveux vous allez croire !…
Marie.
Voyons, écoutons !
Écoutons et jugeons !
Tonio.
Le beau pays de mon enfance,
Les amis que je chérissais…
Ah ! pour vous, je le sens d’avance,
Sans peine je les quitterais !…
Marie.
Mais une telle indifférence
Est très-coupable assurément !
Tonio, avec feu.
Et puis enfin, de votre absence,
Ne pouvant vaincre le tourment
J’ai bravé jusque dans ce camp,
Le coup d’une balle ennemie…
Marie.
Ah ! je le sais… et c’est affreux…
Quand on aime les gens pour eux,
L’on conserve son existence…
ENSEMBLE
Tonio, à part.
À cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour,
Ne sait pas se défendre,
Car c’est là de l’amour !
Marie, à part.
De cet aveu si tendre,
Non, mon cœur en ce jour,
Ne sait pas se défendre,
Car c’est là de l’amour !
Tonio, à Marie.
Vous voyez bien que je vous aime !
Mais j’aime seul…
Marie.
Mais j’aime seul… Jugez vous-même !
Tonio.
Voyons, écoutons !
Écoutons, et jugeons !
Marie.
Longtemps coquette, heureuse et vive,
Je riais d’un adorateur…
Maintenant, mon âme pensive
Sent qu’il est un autre bonheur !
Tonio, avec joie.
Très-bien ! très-bien !