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seil que je vous donne (Ibid. xxv) ? » Pour vous, point de commandement, point de conseil, point d’exemple antérieur ; c’est l’onction divine qui vous a tout fait comprendre. La parole de Dieu elle-même, vivante, opérante, vous avait éclairée avant de se revêtir de votre chair et de s’appeler votre fils. Ainsi vous faites le vœu de vous conserver vierge pour le Christ, et vous ignorez que vous devez lui donner une mère. Vous choisissez le mépris des enfants d’Israël et vous voulez encourir la malédiction de la stérilité pour celui à qui vous voulez plaire, et voilà que les malédictions cèdent la place aux bénédictions et que la stérilité est remplacée par la fécondité.

8. Ouvrez donc votre sein, ô Vierge, préparez votre giron et vos lianes, car celui qui est tout-puissant va accomplir en vous de grandes choses, si grandes qu’au lieu des malédictions d’Israël tous les peuples vous combleront de bénédictions. Ne Privilége de la Vierge mère de Dieu. craignez point la fécondité, ô Vierge pudente, elle ne nuira en rien à votre virginité. Vous concevrez, mais vous ne pécherez point ; vous serez grosse, mais vous ne connaîtrez point les fatigues de la grossesse ; vous enfanterez, il est vrai, mais ce sera sans tristesse ; sans connaître d’homme, vous aurez un fils. Mais quel fils ? Celui même dont Dieu est le Père. Le Fils de la splendeur du Père sera la couronne de votre chasteté. La sagesse du cœur du Père sera le fruit de votre sein virginal. En un mot, vous enfanterez Dieu même et vous concevrez de Dieu. Prenez courage, Vierge féconde, chaste épouse, mère virginale ; vous ne serez pas plus longtemps exposée aux malédictions d’Israël, parce que vous ne serez plus comptée parmi les femmes stériles. Si vous êtes encore chargée de malédictions par les descendants d’Israël selon la chair, ce n’est point parce qu’ils vous trouvent stérile, mais plutôt parce qu’ils haïssent votre fécondité. Rappelez-vous que le Christ même fut maudit sur la croix, lui qui vous a bénie dans les cieux, parce que vous êtes mère ; mais vous êtes bénie aussi sur la terre par l’ange Gabriel, et toutes les générations du monde vous proclameront, avec raison, bienheureuse. Vous êtes donc bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni.

Il est dans la nature des vierges de toujours craindre et de se trouver jamais en sûreté. 9. « En entendant l’Ange parler ainsi, Marie fut troublée de son langage, et elle pensait en elle-même ce que pouvait être cette salutation (Luc, i, 29). » Les vierges, qui sont véritablement vierges, sont naturellement timides et ne se croient jamais en sûreté. Bien plus, pour échapper à ce qu’elles redoutent dans leur timidité, elles en viennent jusqu’à craindre au sein même de la plus complète sécurité ; elles savent, en effet, quelles portent un précieux trésor dans des vases fragiles, qu’il est bien difficile de vivre comme des anges au milieu des hommes et, comme des habitants du ciel sur la terre, de pratiquer enfin le célibat quand on a un corps de chair. Aussi soupçonnent-elles de secrètes embûches dans tout ce qui leur parait nouveau, et dans tout ce qui se produit tout à coup autour d’elles. À leurs yeux tout cela recouvre quelque piège dressé contre elles. Voilà ce qui explique le trouble de Marie aux paroles de l’Ange ; elle fut troublée, dit l’Évangéliste, mais non décontenancée. Le Psalmiste avait dit : « J’étais plein de trouble et je ne pouvais parler, mais je songeais aux jours anciens et j’avais les années éternelles présentes à l’esprit (Psal., lxxvi, 5). » Tel fut le trouble de Marie, et tel fut son silence ; mais en même temps elle se demandait ce