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plus insensée encore que vaine ! Les murs de l’église sont étincelants de richesse et les pauvres sont dans V. aux notes. le dénûment ; ses pierres sont couvertes de dorures et ses enfants sont privés de vêtements ; on fait servir le bien des pauvres à des embellissements qui charment les regards des riches. Les amateurs trouvent à l’église de quoi satisfaire leur curiosité, et les pauvres n’y trouvent point de quoi sustenter leur misère. Pourquoi du moins ne pas respecter les images mêmes des saints et les prodiguer jusque dans le pavé que nous foulons aux pieds ? Souvent on crache à la figure d’un ange et le pied des passants tombe sur la tête d’un saint. Si on n’a aucun respect pour les images des saints, pourquoi n’en a-t-on pas au moins pour tant de belles couleurs ? Pourquoi faire si beau quelque objet qu’on va bientôt salir ? pourquoi ces peintures, là où l’on va poser le pied ? À quoi bon ces beaux dessins là où les attend une poussière continuelle ? Enfin quel rapport peut-il y avoir entre toutes ces choses et des pauvres, des moines, des hommes spirituels ? Il est vrai qu’on peut, au vers que j’ai cité plus haut, répondre par ce verset du Prophète : « Seigneur, j’ai aimé les beautés de votre maison et le lieu où habite votre gloire, (Ps., xxv, 8). » Je veux bien le dire avec vous, mais à condition que toutes ces choses resteront dans l’église où elles ne peuvent point faire de mal aux âmes simples et dévotes, si elles en font aux cœurs vains et cupides.

29. Mais que signifient dans vos cloîtres, là où les religieux font leurs lectures, ces monstres ridicules, Il faut proscrire des cloîtres les vaines peintures. ces horribles beautés et ces belles horreurs ? À quoi bon, dans ces endroits, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures chimériques, ces monstres demi-hommes, ces tigres bariolés, ces soldats qui combattent et ces chasseurs qui donnent du cor ? Ici on y voit une seule tête pour plusieurs corps ou un seul corps pour plusieurs têtes : là c’est un quadrupède ayant une queue de serpent et plus loin c’est un poisson avec une tête de quadrupède. Tantôt on voit un monstre qui est cheval par devant et chèvre par derrière, ou qui a la tête d’un animal à cornes et le derrière d’un cheval. Enfin le nombre de ces représentations est si grand et la diversité si charmante et si variée qu’on préfère regarder ces marbres que lire dans des manuscrits, et passer le jour à les admirer qu’à méditer la loi de Dieu. Grand Dieu, si on n’a pas de honte de pareilles frivolités, on devrait au moins regretter ce qu’elles coûtent.

Chapitre XIII.

Saint Bernard rappelle sommairement quels sont les moyens et la manière de cultiver la paix et la charité ; il dénonce l’instabilité des religieux qui passent d’un ordre à un autre.

30. J’aurais pu relever encore une multitude d’autres abus, car la matière n’est point épuisée, mais j’en suis empêché par l’appréhension que Épilogue. m’inspire une pareille besogne, et par l’empressement où vous êtes de partir, mon cher frère Oger[1] : car je vois que vous ne voulez ni attendre davantage ni vous en aller sans emporter cet opuscule quoiqu’à peine terminé. Cédant alors à vos désirs, je vous laisse partir et j’abrége mes discours, d’autant mieux que quelques mots qui ne troublent pas la paix sont beaucoup plus utiles qu’une multitude de paroles qui causent du scandale. Et,

  1. Cet Oger est le même que le chanoine régulier à qui sont adressées les lettres quatre-vingt-septième et suivantes. Saint Bernard dans sa lettre quatre-vingt-huitième, soumet ce livre à sa censure et à celle de Guillaume, abbé de Saint-Thierry.