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fense de la règle (Reg., S. Bened., cap. 39), jusqu’à trois et quatre repas à la fourchette ; négligent le travail des mains, et changent, augmentent ou diminuent, selon leur bon plaisir, une multitude d’autres prescriptions de la règle ? Vos observations sont parfaitement justes, on ne peut dire le contraire ; mais veuillez remarquer, je vous prie, ce que dit la règle même de Dieu, que celle de notre père saint Benoit ne saurait contredire : « Le royaume de Dieu est au dedans de vous (Luc., xvii, 22), » c’est-à-dire ne se trouve point dans les choses extérieures, tels que les aliments et les vêtements, mais dans les vertus qui sont la parure de l’homme intérieur. Voilà pourquoi l’Apôtre disait : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit (Rom., xiv, 17), » et ailleurs encore : « Le royaume de Dieu ne consiste pas non plus dans les belles paroles, mais dans la pratique de la vertu (I Corinth., iv, 20). » Par conséquent, lorsque vous condamnez vos frères pour des observances extérieures, vous laissez de côté ce qu’il y a de plus important dans Le spirituel doit passer avant les observances corporelles. la règle, son côté spirituel, et, tandis que vous filtrez votre boisson pour ne point avaler un moucheron, vous avalez un chameau sans difficulté. Quel abus ! on met la plus grande importance à vêtir son corps selon les prescriptions de la règle, et on laisse, en dépit de la même régie, son âme dépouillée des vêtements qui lui conviennent. Si vous tenez tant à la tunique et à la cuculle que, pour vous, on n’est point religieux sans cela, pourquoi donc ne recherchez-vous point avec même zèle, pour votre âme, ses vêtements naturels, qui sont l’humilité et la piété ? Parce que nous portons la tunique de règle nous ressentons un superbe dédain pour les pelisses ; ne vaut-il pas mieux être humble sous les fourrures, qu’orgueilleux dans une tunique, quand, après tout, nous voyons que Dieu même donna des vêtements de peaux à nos premiers parents (Genes., iii, 21), que saint Jean, au désert, n’avait d’autre vêtement qu’une peau de bête (Matth., iii, 4), et que celui qui introduisit la coutume des tuniques dans le désert, portait lui-même non une tunique, mais un vêtement de peaux ? Après cela, le ventre plein de fèves, et l’esprit gonflé d’orgueil, nous jetons la pierre à ceux qui se nourrissent de mets plus succulents ! Ne vaut-il donc pas mieux manger d’un bon plat, juste ce qu’il faut pour se nourrir, que d’absorber des haricots au point d’en être incommodé ? Surtout quand on songe non-seulement que ce n’est point un plat de viande, mais de lentilles qui perdit Esaü ; que ce fut (Hebr., xii, 16) un fruit, et non un morceau de viande qui perdit Adam (Genes., iii, 17), et que Jonathas ne se vit point condamné pour avoir mangé de la viande, mais pour avoir goûté à un peu de miel sauvage (I Reg., xiv, 29) ; mais encore que le prophète Élie mangea de la viande sans pécher (III Reg., xvii, 6), que le patriarche Abraham se fit un plaisir d’en offrir aux anges (Genes., xviii, 7), et que Dieu même voulut qu’on lui offrit des animaux eu sacrifice (Exod., xxix, 1) ? Ne vaut-il pas mieux boire un peu de vin par raison de santé (I Tim., v, 23), que d’avaler une quantité d’eau par avidité ? Et, en effet, saint Paul conseille à Thimothée d’en boire un peu, et nous voyons que